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  • : " Le bonheur se trouve là où nous le plaçons: mais nous ne le plaçons jamais là où nous nous trouvons. La véritable crise de notre temps n'est sans doute pas l'absence de ce bonheur qui est insaisissable mais la tentation de renoncer à le poursuivre ; abandonner cette quête, c'est déserter la vie." Maria Carnero de Cunhal
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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 19:12

 Martin Rueff, poète, critique et traducteur, maître de conférence à l'U.F.R. "Lettres, arts et cinéma" de L'Université Paris-Diderot (Paris VII), enseignant à l'Université de Bologne, professeur à l’Université de Genève où il occupe la chaire du 18ème siècle.

Martin-Rueff.jpg 

Lectures:

- Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Partie I, Lettre III

Fond : Franck, sonate pour violon et piano en La.

- Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Partie III, Lettre XVIII

Fond : Elgar, Cello concerto in E minor.

 Réalisation : Mydia Portis-Guérin

Lecture des textes : Georges Claisse

PREFACE de La Nouvelle Héloïse
 "Ce livre n'est point fait pour circuler dans le monde, et convient à très peu de lecteurs. Le style rebutera les gens de goût; la manière alarmera les gens sévères; tous les sentiments seront hors de la nature pour ceux qui ne croient pas à la vertu. Il doit déplaire aux dévots, aux libertins, aux philosophes; il doit choquer les femmes galantes, et scandaliser les honnêtes femmes. A qui plaira-t-il donc ? Peut-être à moi seul; mais à coup sûr il ne plaira médiocrement à personne.

Quiconque veut se résoudre à lire ces lettres doit s'armer de patience sur les fautes de langue, sur le style emphatique et plat, sur les pensées communes rendues en termes ampoulés; il doit se dire d'avance que ceux qui les écrivent ne sont pas des Français, des beaux-esprits, des académiciens, des philosophes; mais des provinciaux, des étrangers, des solitaires, de jeunes gens, presque des enfants, qui, dans leurs imaginations romanesques, prennent pour de la philosophie les honnêtes délires de leur cerveau.

Pourquoi craindrais-je de dire ce que je pense ? Ce recueil avec son gothique ton convient mieux aux femmes que les livres de philosophie. Il peut même être utile à celles qui, dans une vie déréglée, ont conservé quelque amour pour l’honnêteté. Quant aux filles, c'est autre chose. Jamais fille chaste n'a lu de romans, et j'ai mis à celui-ci un titre assez décidé pour qu'en l'ouvrant on sût à quoi s'en tenir. Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page est une fille perdue; mais qu'elle n'impute point sa perte à ce livre, le mal était fait d'avance. Puisqu'elle a commencé, qu'elle achève de lire : elle n'a plus tien à risquer.

Qu'un homme austère, en parcourant ce recueil, se rebute aux premières parties, jette le livre avec colère, et s'indigne contre l'éditeur, je ne me plaindrai point de son injustice; à sa place, j'en aurais pu faire autant. Que si, après l'avoir lu tout entier, quelqu'un m'osait blâmer de l'avoir publié, qu'il le dise, s'il veut, à toute la terre; mais qu'il ne vienne pas me le dire; je sens que je ne pourrais de ma vie estimer cet homme-là".
Lorsque JeanJacques Rousseau écrit ces lignes, il vient de s'installer à l'Ermitage à la lisière de la forêt de Montmorency dans une maison prêtée par madame d'Epinay, nous sommes en 1756 dans la plus belle saison de l'année au mois de juin sous des bocages frais au chant du rossignol, au gazouillement des oiseaux.

Après le scandale du Discours sur le fondement de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau rêve et imagine au cours de ses promenades,des personnages unis et séparés par le coeur,la passion, l'amitié, la vertu.Ces personnages prennent corps et âme en s'écrivant, la plume décrit leurs tourments,sonde sur le papier leurs coeurs qu'ils cherchent à mettre à nu.De cette correspondance va naître un roman,intitué Julie ou la nouvelle Héloïse et qui fut dès sa publication en 1761 le roman le plus vendu au XVIIIè siècle.
"Ne vous impatientez pas mademoiselle, quand je commençais de vous aimer que j'étais loin de voir tous les maux que je m'aprêtais, je sentis d'abord que celui d'un amour sans espoir que la raison peut vaincre à force de temps, j'en connus ensuite un plus grand dans la fouleur de vous déplaire et maintenant j'éprouve le plus cruel de tous dans le sentiment de vos propres peines. Oh Julie je le vois avec amertume,mes plaintes troublent votre repos, vous gardez un silence invincible mais tout de vous décèle à mon coeur attentif vos agitations secrètes, vos yeux deviennent sombres, rêveurs, fixés en terre, quelques regards égarés s'échappent sur moi, vos vives couleurs se fanent, une pâleur étrange couvre vos joues,la gaîté vous abandonne,une tristesse mortelle vous accable,et il n'y a que l'inaltérable douceur de votre âme qui vous préserve d'un peu d'humeur.Soit insensibilité, soit dédain, soit pitié pour mes souffrances,vous en êtes affectée je le vois, je crains de contribuer au vôtre et cette crainte m'afflige beaucoup plus que l'espoir qui devrait en naître ne peut me flatter, car, ou je me trompe moi même,ou votre bonheur m'est plus cher que le mien. cependant, en revenant à mon tour sur moi,je commence à connaître combien j'avais mal jugé de mon propre coeur et je vois trop tard que ce que j'avais d'avord pris pour un délire passager fera le destin de ma vie. C'ets le progrès de votre tristesse qui m'a fait sentir celui de mon mal. jamais, non, le feu de vos yeux, l'éclat de votre teint,les charmes de votre esprit, toutes les grâces de votre ancienne gaîté n'eussent produit un effet semblable à celui de votre abattement.N'en doutez pas, divine Julie, si vous pouviez voir quel embrasement ces huit jours de langueur ont allumé dans mon âme,vous gémiriez vous même des maux que vous me causez, ils sont désormais sans remèdes,et je sens avec désespoir que le feu qui me consume ne s'éteindra qu'au tombeau".(Troisième Lettre à Julie)
Qu'est-ce qui a pris à Rousseau d'écrire un tel roman éfféminé qui respire l'amour et la mollesse ? 
La Nouvelle Héloïse paraît avant l'Emile et le Contrat et cette position nous est difficile à ressaisir aujourd'hui car on associe ces trois oeuvres,mais il faut penser que pour les lecteurs de Rousseau,ce roman fait suite aux Discours fracassants et au ton très différent.

Argument biographique, Rousseau a presque 50 ans,c'est un homme qui a beaucoup aimé,qui a aimé souvent sans retour,il y a donc tout ce qu'on pourrait appeler d'un point de vue psychanalytique, la sublimation.
Quel rapport existe entre l'Héloïse et ce que Rousseau appelle "son système" ?
1- Rousseau construit une théorie de l'homme qui passe toujours des Confessions au Contrat par le Récit. Pour reprendre un philosophe qui a toujours avoué sa dette envers Rousseau, chez kant la déduction est toujours logique, chez Rousseau elle est chronologique c'est à dire qu'on décrit en racontant.Rousseau est l'inventeur de l'anthropologie narrative, pour montrer les structures de sa théorie de l'homme il faut les raconter, c'est à dire qu'il faut voir comment elle se déploie selon ce qu'il appelle lui même la généalogie.
Il décrit donc un amour passionné entre Saint Preux un jeune homme qui donne des leçons à Julie Betanges etpuis cet amour qui est "selon l'ordre de la nature" (Rousseau),qui va se heurter à l'ordre social incarné par le père, et puis, delà va s'en suivre une série de conséquences néfastes qui vont mener on le verra tout à l'heure à la mort de Julie.
De ce point de vue on peut dire avec des commentateurs aussi fins que Alexis Philonenko "le Traité du Malheur" et Gabrielle Radica  "L'Histoire de la raison" qu'il y a un côté phénoménologie de la vie éthique c'est à dire qu'on raconte la manière dont les individus confrontés à un certain nombre de situations,se "dépatouillent" de leur vie ce que moi j'appelle à propos d'Héloïse,non pas un roman de l'infidélité, mais un conflit des fidélités.A combien de choses peut-on être fidèle dans la vie, à combien d'êtres peut-on être fidèle dans la vie et qu'est-ce qu'un sujet qui s'accroche à plusieurs fidélités.
Julie est prise dans la fidélité à sa famille,ça me paraît plus intéressant de dire ça que c'est l'autorité paternelle qui l'opprime parce que c'est elle même qui incarne et qui porte cette fidélité.
2 - La deuxième manière de comprendre les rapports de l'Héloïse au système de Rousseau, à la théorie de l'homme, c'est me semble-t-il évidemment,la dimension passionnelle. C'est à dire que chez Rousseau,les principes: amour de soi et amour propre,sont des passions.Et ça évidemment c'est fondamental,  c'est à dire que ce n'est pas une anthropologie dans laquelle on va trouver des passions, c'est que les principes mêmes de l'anthropologie sont passionnels.Et finalement l'Héloïse est sans doute une des pièces les plus puissantes du système de Rousseau parce que l'amour est la passion des passions.
Si on comprend ça, on peut lire de manière beaucoup plus utile et convaincante,le rapport qui lie l'Emile et la Nouvelle Héloïse. Parce que souvent les philosophes disent, (et j'en connais de très sérieux) "l'Emile c'est bien jusqu'au livre V, (y compris), c'est à dire jusqu'à ce qu'arrivent la femme Sophie". Or c'est tout le contraire,pour Rousseau si l'amour de soi, c'est cette puissance à persévérer en soi "de manière droite" comme il le dit,cette espèce d'orthonormie des mouvements de la nature, donc si la dérive de l'amour de soi c'est l'amour propre,c'est à dire qu'on finit par aimer ce que la société nous demande d'aimer et non plus ce qu'on aime spontanément.L'amour représente une passion tout à fait singulière, pourquoi ? Parce que dans l'amour, ce n'est pas du tout comme dans l'amour de soi, où je me mets à aimer ce que les autres me demandent d'aimer, c'est que je mets l'autre à la place de moi.Et donc l'amour de soi rencontre avec la passion amoureuse,une puissance extraordinaire qui peut vraiment vous rendre fou ou mener à la mort, parce que dans l'amour passion,il se passe deux choses: c'est qu'on préfère l'autre à soi.La puissance de la passion amoureuse n'est simplement que je mets l'autre à ma place, mais aussi que je veux être le premier. Rousseau dit souvent l'amour de soi est absolu parce qu'il n'est pas comparable à , il n'est pas relatif. Dans l'amour passion, cette absoluité persiste, je veux que l'autre me considère comme son absolu.  

Adèle: C'est là toute l'ambiguïté du livre, vous insistez sur l'importance de la passion dans le  système de Rousseau, la passion comme étant le principe anthropologique premier,et c'est ce qui fait par la description de l'amour que Rousseau s'adonne au genre romanesque passant du statut de narrateur à romancier,il a recours à la fiction, à une invention de personnages et il le dit dans la préface qui est en réalité à la fin du livre qu'il est indifférent de savoir si ces personnages ont existé ou non,il cherche à dépeindre les coeurs et les personnages. On peut comprendre pourquoi l'amour est un sujet propice au développement romanesque, mais au sein de la Nouvelle héloïse justement tout l'enjeu est de savoir dans quelle mesure les personnages eux mêmes sont conscients de ce qui leur arrive, dans quelle mesure,ils sont véritablement honnêtes avec leurs sentiments et dans quelle mesure ils aiment véritablement une autre personne et non pas eux mêmes à travers cette personne là.
 Et cette ambiguïté elle se pose à travers toute l'oeuvre de Rousseau, à travers la distinction entre l'amour de soi, l'amour propre et l'amour d'un autre, mais dans la Nouvelle Héloïse, elle est posée avec une acuité particulièredu fait que ce sont le spersonnages qui se décrivent eux mêmes dans leur correspondance.                       
 Vous avez pointé le rapport fiction-récit qui est une question propre au système car finalement quand Rousseau dans le second Discours parle de l'éat de nature, il dit qu'il fait des hypothèses exactement comme le font des physiciens à propos de l'origine du monde,c'est à dire des fictions. le Contrat Social c'est une fiction transcendantale.
Rousseau a inventé, et c'est là la difficulté essentielle de sa philosophie, c'est que les objets qu'il nous lègue sont  des objets dont le statut ontologique est complexe.C'ets pourquoi dans la seconde préface, entretiens sur les romans, il insiste avec tant de vigueur sur la question de savoir si les personnages ont existé ou non, il ne s'agit pas pour lui de boter en touche, il s'agit de dire que la question de ce qui existe réellement est une question difficile.Qu'estce que ça veut dire exister réellement?
Sur la conscience ou la mauvaise conscience des personnages de la Nouvelle Héloïse, il faudrait évidemment distinguer tous les personnages: Julie, Saint preux qui n'est jamais nommé comme tel,"Lettres à Julie ou de Julie", Claire la cousine de Julie, et l'homme qu'épousera Julie,M. de Volmar.
 Deux personnages qui ont une aile: Julie a sa cousine Claire et Saint Preux a son inséparable, Edouard.
A propos de la mauvaise foi (Mosey et Paul Hoffman) ou de "la duplicité"(Krocker) de Julie est une question à part entière.
3 - Troisième pertienne de la Nouvelle Héloïse par rapport au système et qu'est-ce qui fait de la Nouvelle Héloïse un si grand livre ?
Ce n'est pas qu'on puisse y retrouver des éléments du système de Rousseau:l'économie, l'éducation, la paternité, le paternalisme de Volmar,mais que l'amour y est décrit comme connaissance et je m'appuierai sur l'épigraphe de Pétrarque qui est rarement commenté. "Non la conobe il mondo mentre l'hebbe,Conobil'io,ch'a pianger qui rimali"(Le monde ne la connut pas,alors qu'il la possédait, je la connus, moi qui reste ici bas pour la pleurer.) 
Adèle: Lorsque vous dites que l'amour est une connaissance,de quoi est-il connaissance, car l'amour pour les personnages paraît être un aveuglement car c'est par l'expérience du sentiment amoureux que les personnages  disent être dépossédés d'eux mêmes,à plueiurs reprises, ils disent changer d'identité losqu'ils se sentent sous l'emprise de cette passion là.
Rousseau s'appuie sur ce sonnet de Pétrarque qui dit : "j'ai été le seul à la connaître".Dans le sonnet 165 de Pétrarque,celui-ci ajoutait: "E'1 ciel , che del mio pianto hor li fa" ("Et le ciel de mes pleurs s'embellit")Il y avait une dimension théologique qui a complètement disparu dans le texte de Rousseau.
La notion d'illusion que l'on peut appeler "self deception" qui est inhérente à l'amour,est très présente dans l'Héloïse,mais il n'en demeure pas moins que quand on aime passionnément quelqu'un on le connaît mieux. Rousseau est convaincu de la fausseté du dicton: "l'Amour rend aveugle" .
Bien sur l'amour jette un voile sur l'aimée mais ce n'est pas un voile mensonger,finalement quand on aime quelqu'un on est beaucoup plus capable de le voir dans son identité réelle que quand onne l'aime pas. Aimer c'est connaître c'est sûr et pourtnat Julie fait cette épreuve d'un conflit énorme entre d'un côté cette passion dont elle est victime puisqu'elle la subit, et la nature passionnée de l'autre, ce que la société ou la civilisation lui impose et lui interdit de s'unir à Saint Preux.Le père de Julie ne peut pas admettre une union avec ce jeune précepteur roturier sans argent et toute sa vie elle va essayer de s'accorder à ce choix, qui a été fait de ne pas désobéir à son père,de ne pas rejoindre son amant,d'épouser le mari que lui propose son père qui a plus de 50 ans qui est un homme très digne, très vertueux justement,mais pour lequel elle ne ressent aucune passion,et ce roman peut être lu comme une tragédie interne qui vient de l'absence de résolution de conflit rousseauiste s'il en est, entre la Nature et la Civilisation.
Est-ce que cela n'amène pas à une conclusion que l'amour n'amène pas à une connaissance pour être heureux ?
A quoi servirait la connaissance si elle ne parvient pas à surmonter un conflit qui est celui de tout un chacun ?
 Mais vous avez employé le mot juste c'est une connaisance tragique qui se fonde sur l'impossibilité de mener à bien et de résoudre un certain nombre de conflits.
Saint Preux fait pression de manière à la fois habile et une partie de son habileté est de la cacher justement,pour que Julie avoue la réciprocité qu'il espère et malgré cela,dans ce moment là,qui est un moment inaugural qui est le seuil du roman d'amour, d'une première partie heureuse,ce qui doit frapper le lecteur c'est que déjà le tombeau est là.
Dans la Nouvelle Héloïse, il y a un champ métaphorique très beau qui est celui de la flamme, le feux de l'amour,c'est à la foi l'embrasement du désir mais aussi la consumation de la vie: c'est ça la passion.
Lecture:

"Qu'étions nous et que sommes nous devenus ? Deux amants passèrent une année ensemble dans le plus rigoureux silence, leurs soupirs n'osaient s'exhaler mais leurs coeurs s'entendaient, ils croyaient souffrir et ils étaient heureux, A force de s'entendre, ils se parlèrent, et contents de triompher d'eux mêmes et de s'en rendre mutuellement l'honorable témoignage,ils passèrent une autre année dans une réserve,non moins sévère, ils se disaient leurs peines et ils étaient heureux."
"Ces longs combats furent mal soutenus,un instant de faiblesse les égara,ils s'oublièrent dans les plaisirs. mais s'ils cessèrent d'être chastes, au moins, ils étaient fidèles,au moins le ciel et la nature autorisaient les noeuds qu'ils avaient formé au moins la vertu leur était toujours chère.Ils l'aimaient encore et la savaient encore honorée,ils étaient moins corrompus qu'avilis,moins dignes d'être heureux, ils l'étaient pourtant encore. Que font maintenant ces amants qui brûlaient d'une flamme si pure, qui sentaient si bien le prix de l'honnêteté, qui la prendra sans gémir sur eux.Les voilà soumis au crime, l'idée même de souiller le lit conjugal ne leur fait plus horreur, ils méditent des adultères.Quoi sont-ils bien les mêmes ? Leurs âmes n'ont elles point changé. Comment cette ravissante image que le méchant n'aperçut jamais,peut-elle s'effacer des coeurs où elle a brillé, comment l'attrait de la vertu ne dégoûte-t-il pas pour toujours du vice ceux qui l'ont une fois connu ? Combien de siècles ontils pu produite ce changement étrange, quelle longueurde temps put ainsi détruire un si charmant souvenir,et faire perdre le vrai sentiment du bonheur à qui l'a pu savourer une fois. Ah que si le premier désordre est pénible est lent,que tous les autres sont prompts et faciles, prestige des passions tu fascines ainsi la raison, tu trompes la sagesse et changes la nature avant qu'on s'en aperçoive.On s'égare un seul moment de la vie,on se détourne d'une seul pas de la droite route,aussitôt une penste inévitable nous entraine et nosu perd, on tombe enfin dans le gouffre et l'on se réveille épouvantés de se trouver avec un coeur né pour la vertu ?  Mon bon ami, laissons retomber ce voile, avons nous besoin de voir ce précipice affreux qu'il nous cache pour nous éviter d'en approcher". Je reprends mon récit... (Lettre XVIII 3ème partie)
 Dans cette lettre charnière peut-on entendre que la passion est une corruption de la nature elle même et de faire perdre à l'homme cet état et d'innonence et de bonheur naturel  ?  Si elle s'ppose à la nature il serait logique que Rousseau cherche à la contrer or,il fait de la passion le centre de son système anthropologique.
Structure du roman de 800 pages en six parties,  
 I è Partie- la naissance de l'amour et de la passion amoureuse qui sait qu'elle est promise à des difficultés. 
 (passion et expression amoureuse sont liées sur fond musical)
 L'expression fait partie du sentiment lui même exactement comme un amour déclaré n'est pas le même qu'un amour qui ne se déclare pas car en se déclarant il ne s'agit pas seulement de prédiquer la relation mais aussi de la faire exister d'une autre façon.
 II è Partie- Pour fuir les difficultés que mettrait en cause leur amour aux yeux de la société, Saint Preux va partir à Paris,dans une description ethnologique et sociologique de Paris, avec des lettres célèbres sur les parisiennes, l'Opéra, la société du paraître que Saint Preux dénonce et que Rousseau avait dénoncé dans le 1er Discours,et dans la préface du Narcisse.Mais c'est une partie ou Julie est intériorisée comme image et cela va être décisif pour la suite. Parce que Julie l'emporte avec lui dans son coeur, elle se confond avec le modèle de la vertu,elle est à la fois l'original et la copie,et toute cette partyie va être consacrée à la hantise, car Saint Preux va être possédé par l'image de l'autre.pas seulement métaphorique d('aiolleusr puisque Julie lui fait parvenir son propre portrait que Saint preux juge infidèle et qu'il fait retoucher par un peintre pour qu'il lui soit plus fidèle encore, notamment parce que le peintre a gommé les défauts. La beauté des  hommes ou des femmes qu'on aime, comporte une singularité, et les marques qui font partie de cette beauté.
Julie va exister en Saint Preux,va résister en St Preux,sous le mode de l'image et Rousseau est sans doute un de premiers penseurs de l'obsession amoureuse sous la forme d'une image intériorisée qui va même dans les parties successives, s'interposer entre le corps et nous.Plus durable que le corps de l'autre,il y a son image en nous qui est aussi son corps .
 III èPartie: l'identité: Qu'étions nous et que sommes nous devenus ? Julie après avoir rêvé à s'enfuir avec Saint Preux, va se résoudre à épouser M. de Volmar et cette lettre III, XVIII, est considérée commesa lettre de conversion au mariage,dans laquelle elle semble renoncer à la passion,pour en épouser une autre , mais finalement la passion qui va la lier à M. de Volmar,est d'une toute autre nature que la passion pour St Preux. Et s'agit-il vraiment d'une passion d'ailleurs ou d'un sentiment de calme et de tendresse et d'affection?
Nina Fuccini qui est une des rares à avoir consacré un ouvrage entier à la Nouvelle Héloïse,oppose l'amour passion et l'amour conjugal. Elle dit finalement que se qu'invente Rousseau c'est la différence entre les deux. La vraie question pour Julie est: à combien de relations on peut-être fidèle en même temps. Elle n'a pas choisi Volmar par sagesse en pensant qu'elle pourra revenir à St Preux, C'est beaucoup plus compliqué que ça, comme dans la vie.
IV et Vè Parties qui ont un peu lassé les lecteurs du XVIIIè siècle,décrivent la communauté recomposée par Volmar, Julie les deux enfants, Claire, le père de Julie, et  Saint Preux qui arrive et c'est ça le coup de théâtre de ce roman.

Nouvelle-Heloise.jpg
Volmar par crainte que l'image de Saint Preux,ne hante Julie au point qu'elle ne puisse pas l'oublier,considère qu'il suffit de le faire rentrer dans le champ et que par là le corps va oblitérer l'image.Ces deux parties sont consacrées à Clarens dont on peut décrire l'économie, la règle des comportements (4è Partie)  et l'ordre de Clarens (5è Partie) les vendanges le divertissement.  Comme on a perdu l'ordre de la nature, on essaye de le recréer c'est pourquoi le jardin de l'Elysée est si important et considéré comme une recréation..
VIè Partie:  la vérité et la mort .Malgré la règle,et malgré l'ordre, Julie mourra en rejoignant sa nature fantômatique, elle est présentée comme un ange et qu'est-ce que l'ange sinon cette résistance de l'image en nous,sans corps. certains disent que Julie est déjà morte dès le début... !! comme dans une certaine recréation fictionnelle du roman,elle est décrite comme la grâce, le charme, l'ange,c'est à dire un corps qui peut voyager entre les différents protagonistes. 
Adèle: Tout au long du déroulement du livre, on parle de la passion,du mariage, on récrée cet ordre naturel, qui n'est plus mais que l'homme peut prétendre imiter d'une certaine façon,tout le déroulement du livre semble conduire finalement à ce conflit qu'il a entre la passion et la civilisation, (on l'a dit ne début d'émission)  mais peut-être surtout netre une dimension proprement privée, subjective, et une dimension publique,puisque la société que Volmar veut récreer chez lui à Clarens,avec les domestiques, les personnages qui l'entourent et travaillent avec lui,est une société proprement publique, et y règne une harmonie idéale selon Rousseau,où les gens semblent animés par cette religion civile dont il parle dans le Contrat social en tout cas, toutes les relations sont respectueuses, l'obéissance ne pose pas de problème pûisque toute obéissance envers un maître est juste, chacun y met du sien, et tout fonctionne à merveille, or  la passion c'est l'inverse. Est-ce que finalement Rousseau ne montre pas dans ce texte, n'est-ce pas le fait que la passion nous aliène,nous dépossède de notre propre liberté et donc rned la vie individuelle mais également publique dans une société impossible et que pour le penseur de la liberté qu'est Rousseau c'est inconcevable.
- Oui c'est une lecture possible de l'Héloïse mais le point central est de nous faire comprendre ce que nous appelons les passions, comment nous les vivons.
 - Mais alors est-ce que les passions s'opposent à la nature ou sont le fruit de la nature ?
dans le second discours Rousseau distingue clairement le physique de l'amour c'est à dire finalement la sexualité,qui ne suppose aucune préférence dans l'état de nature,et le moral de l'amour,et pour qu'il y ait moral de l'amour c'est à dire passion amoureuse,il faut qu'il y ait préférence et deux éléments tout à fait décisifs pour Rousseau: un élan imaginaire, c'est à dire que l'autre soit imaginé,et qu'on construise son monde un peu aussi comme chez Stendhal ou chez Proust, il faut aussi que l'autre existe en moi sous forme d'image,et puis un deuxième élement qui est l'expression.

En résumé, "le moral de l'amour" c'est sexualité plus imagination plus expression.
Dans l'état de nature, il n'y a pas de passion amoureuse  et ce serait contre indiqué du point de vue du système même.Mais comme on sait la nature ne se réalise pas pleinement à l'état de nature,sinon ni l'Emile ni le Contrat, ni l'Héloïse ne seraient possibles. La nature de l'homme étant une nature passionnelle et l'amour de soi est une passion pour Rousseau,l'amour passion n'est pas contre nature,et dans l'Héloïse ce n'est pas parce qu'il s'oppose à la nature qu'il va mener à la mort de Julie, mais justement c'ets l'ordre social qui le contredit.D'ailleurs les amants le disent dans la première partie, ils s'aiment selon la nature.A cela il faut ajouter que le rapport physique, la sexualité n'est évidemment pas contre nature, et s'aimer c'est s'aimer.

Lors de la scène du bosquet Julie propose à Saint Preux de la retrouver derrière un bosquet pour lui faire goûter les joies physiques de l'amour auxquelles elle se disait pouvoir renoncer et puis elle se dit qu'elle ne voudrait pas passer à côté de ce charme là de l'amour et donc elle lui donne ce premier baiser qui met Saint Preux dans un état de délire total où il dit "j'aurais préfér ne pas goûter ce baiser car à présent non seulement je me sens changé , je ne suis plus le même homme" dit-il, mais je ne peux pas résister à cette espèce d'excitation,de frustration très sévère qui va d'ailleurs durer un long moment favorisé d'ailleurs par l'écriture épistolaire qui permet de dilater les temps, d'attendre, de s'attendre et de faire ressortir le contraste entre la consommation physique d'un désir et la rétention de ce désir là, rétention qui prend pour Julie la forme d'une quête vertueuse.Julie-baiser.jpg C'est bien autour de ces questions là que le roman tourne entre passion, désir et vertu. Dans l'état de nature il n'y a pas de vertu, il y a la bonté qui est une indifférence au  bien et au mal,l'homme y est bête.Pour qu'il y ait vertu, il le dit de manière appuyée dans l'Emile, il faut qu'il y ait combat, Dieu n'est pas vertueux puisqu'il ne combat pas,et Julie est la vertu. Pour qu'elle soit vertueuse, il faut qu'elle soit passionnée sans quoi elle n'aura rien à combattre. La question de Julie est de savoir à la fois comment être fidèle à la vertu,et fidèle à Saint Preux.Car la passion amoureuse c'est l'exclusivité, la préférence absolue et il faut faire la part de fidélité aux principes de la vertu,aux modèles dont Julie parle dès la première partie,et qu'elle incarne et la passion. Le choix est une illusion: on pourra chosir la vertu mais on ne pourra déraciner la passion qui est en nous qui tue Julie même si elle meurt en essayant de sauver son fils de la noyade, mais elle est affaiblie par ce combat qu'elle n'arrive plus à mener puisqu'elle est de toute évidence éperduement, passionnément amoureuse de Saint Preux,et on l'apprend dans l'aveu qu'elle lui fait au milieu de la 4è partie où elle avoue son "bonheur de mère et d'épouse,mais un seul chagrin m'empoisonne, je ne suis pas heureuse" et c'ets cela le secret de Julie, en suivant la vertu, elle ne parvient pas au bonheur et j'en reviens à cette question, l'amour est une connaissance, mais à quoi sert cette connaissance si elle ne conduit pas au bonheur, Julie va en mourir te donc finalement quelle liberté reste-t-il à l'homme, quel choix,peut-il faire entre la vertu et la passion.Dans le roman il y a des modèles de délibération successives c'ets à dire en fonction de l'évolution de l'antrhropologie du point de vue narratif,c'est à dire des lesquelles on se trouve,  il faut délibérer por savoir ce qui est le plus juste dans telle ou telle situation;Je crois que Julie en dépit de ce que disent certains commentateurs,n'est pas de mauvaise foi,mais qu'elle essaye dans les grands chambardements de son existence,d'aller fer's ce qui lui semble la vertu mais que c'est difficile... mais ce n'est pas le problème de Julie, c'est le problème de la passion et celui de Rousseau qui en fera un roman. Chez Rousseau c'est la société qui empêche la rectitude des mouvements de la nature et si dans un système social meilleur, plus respectueux de certains types de passions,plus ancrés sur l'amour propre et plus sur l'amour de soi, peut-être que le conflit des fidélités serait moins grave. Si la passion rate c'est la faute à la socété et là on rentre dans la doctrine de la volonté chez Rousseau! Il propose un modèle stoïcien,ou polinien, il suffit de vouloir pour pouvoir dans une performativité de la bonne volonté et finalement si je veux être heureux je peux l'être, le vouloir c'est déjà l'être,et puis il y a un modèle de volonté qui entre dans la durée, durée de l'amour et durée dans l'amour. Rousseau comme Hume et Kant est un penseur de la causalité qui pense l'amitié que St Preux a pour Claire et l'amour qu'il a pour Julie, sur lemodèle des ondes sur la mer et des ondes sur un lac,et la passion amoureuse est longue, lente et impossible à combattre. 

 Julie-et-St-Preux.jpg  

(Transcription de l'émission des "Chemins de la Connaissance" du 3 janvier 2012 - France Culture - par Patrick Chevrel ) .                                            
 
 
 
    
 
   

 
 
 
     
   
       

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