Gérer une visite de Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, n'a rien d'une partie de plaisir. Le fondateur de Médecins sans frontières sait ce qu'il veut et se montre ferme sur les prix. Comme pour ce voyage de janvier 2008 en Afrique, où il compte enchaîner République démocratique du Congo (RDC), Rwanda et Burkina Faso. Le tout sur trois journées, du 25 au 27 janvier. [ ... ]
Au menu de Bernard Kouchner pour ce voyage en RDC, en guise d'entrée, une réunion au Centre culturel français. Il s'agit d'y présenter la coopération française dans le pays, en présence de quelques-uns des partenaires congolais des actions menées. Or, en raison des difficultés de circulation et du programme trop chargé, le ministre déboule en retard et déjà énervé à la réunion. Il prend cependant le temps de saluer chacune des vingt personnes avant de faire un bref discours. « Puis le conseiller culturel a démarré une présentation Powerpoint des axes de la coopération. C'était interminable et sa main tremblait à chaque changement de diapo ! Bernard Kouchner a commencé à soupirer ouvertement. Plus personne n'osait prendre la parole. » [témoignage d'un agent alors affecté à l'ambassade de France. NDLR.] Le ministre, entre deux soupirs, utilise son téléphone mobile ou échange quelques mots avec le directeur Afrique du Quai d'Orsay. Flairant le danger, l'ambassadeur vole au secours de son conseiller culturel en voie de noyade. Il tente désespérément d'attirer l'attention du ministre en haussant la voix. Mais Bernard Kouchner ne l'entend pas de cette oreille, ou plutôt l'entend trop bien. Levant la tête, il interrompt le malheureux diplomate : « Monsieur l'ambassadeur, je ne suis pas venu jusqu'ici pour voir une présentation Powerpoint. J'ai un rendez-vous avec le président Kabila dans vingt minutes. Mes conseillers vont rester là ; mais moi, j'y vais. » Sur ce, le voilà qui se lève et disparaît.
Le docteur Kouchner a beau avoir roulé sa bosse sur toute la planète, en déplacement à Goma, il témoigne parfois d'un coeur de midinette. Le ministre apprend que l'acteur américain George Clooney se trouve également « en ville » ... Depuis peu « Messager de la paix » des Nations unies, le docteur Ross de la série télévisée Urgences, star engagée, effectue incognito une tournée en Afrique et en Inde qui passe par la RDC. A cette annonce, Bernard Kouchner ne tient plus en place. Entre médecins sans frontières (mais l'un télévisé seulement), il veut absolument rencontrer George Clooney, lequel attend un avion dans un salon de l'aéroport de Goma. La suite se déroule comme dans un film. Le French Doctor pousse la porte du salon et interpelle le comédien : « When a famous Hollywood star meets a famous politician star ! » Une accolade suit, avec un George Clooney quelque peu interloqué par ce visiteur imprévu qu'il ne semble pas complètement remettre... Commentaire de notre témoin : « Bernard Kouchner disait haut et fort qu'il voulait que cette rencontre se fasse en privé, mais il n'aurait pas dit non à une petite photo ! » Avec ou sans sac de riz, comme en Somalie, l'histoire ne le dit pas...

 

Notre avis

Le Quai d'Orsay sous toutes ses coutures, y compris les moins reluisantes. Le livre de Franck Renaud, ancien journaliste à Ouest-France, aujourd'hui formateur en Asie, nous plonge dans les arcanes méconnues des Affaires étrangères. L'auteur y décrit le peuple du Quai et cette aristocratie d'Etat que sont les ambassadeurs, s'attardant surtout sur leurs travers : les passe-droits et les réseaux (dont celui des homosexuels, dit le Gay d'Orsay), le machisme, l'exploitation du petit personnel local, la corruption, ou encore les vols de porcelaines de Sèvres. L'auteur s'aventure aussi sur des thèmes plus « secrets », comme la privatisation des services des visas, les jeux d'espionnage à l'ambassade de Pékin, et même des affaires de pédophilie. L'angle est séduisant, le ton modéré mais sans complaisance, et l'enquête sérieuse, avec un effort louable de précision des sources. Certains chapitres manquent toutefois d'anecdotes et citent abondamment des rapports. D'où quelques longueurs.

David Bensoussan