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  • : " Le bonheur se trouve là où nous le plaçons: mais nous ne le plaçons jamais là où nous nous trouvons. La véritable crise de notre temps n'est sans doute pas l'absence de ce bonheur qui est insaisissable mais la tentation de renoncer à le poursuivre ; abandonner cette quête, c'est déserter la vie." Maria Carnero de Cunhal
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3 novembre 2016 4 03 /11 /novembre /2016 19:23

Le bloc-notes est le genre qui convient le mieux au voyageur, à celui qui souffre de ne pouvoir consigner par écrit tout ce que sa curiosité lui offre d’émerveillements ou lui cause de chagrin.

Qu’est-ce qu’un bloc-notes ? Un herbier. Sur le chemin, on cueille une aimable vision, dans un livre, on rafle une pensée. En ville, une scène de la vie quotidienne nous émeut, nous indispose. Sur un mur, une affiche clame un slogan absurde. Dans le ciel, un nuage prend la forme d’un visage aimé. À la radio, un homme politique achève de trahir l’honneur. Ces copeaux, tombés de la roue du temps, sont jetés sur le carnet de notes. Plus tard, à la table de travail, il s’agira d’ordonner la moisson. Chaque pièce, patiemment collectée, s’agencera pour former un motif, dessiner une ligne. Les éclats du kaléidoscope s’agrégeront, les plis se déploieront, les miettes s’ordonnanceront.

De l’harmonisation de ces instantanés jaillira une géographie de l’instant.

Le bloc-notes c’est l’hommage que l’observation rend aux détails. Les détails composent la toile du monde. Ils sont les atomes de la réalité, nom que les myopes donnent à la complexité, à la fragmentation des choses. Le faiseur de vitraux assemble des milliers d’éclats de verre. Soudain, surgit un dessin. Les Parties ont formé un Tout. De même pour le bloc-notes : les notes s’assemblent, elles font bloc.

La plus belle définition de cette forme courte, consistant à précipiter sur une feuille de papier un saisissement de l’âme, un étonnement de l’esprit, un ravissement de l’œil, c’est Baudelaire qui la donne.

Dans une lettre à Arsène Houssaye, il définit ainsi son projet de recueil de petites proses poétiques qui sera publié sous le titre : Le Spleen de Paris.

« Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on pourrait dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superflue. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. »

Les blocs-notes publiés ici sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde.

Sylvain Tesson

Géographie de l'instant

Edition des Equateurs (2012)

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