Comme en filigrane derrière ces petits tas de secrets émiettés là dans ces 70 pages illustrées par Pierre LE TAN grand dessinateur (fils du non moins immense peintre indochinois LE PHO) il y a des fils à dénouer dans " Memory Lane " ce roman daté de 1980, de (Jean) Patrick Modiano né en 1945 ,(trois années avant moi à Paris) "Il y a là toute la quintescence de Modiano: des souvenirs entre chien et loup, un parfum d'intrigues illicites, les nostalgie d'un passé dont on se rappelle les apparences fugitives, et derrière lesquelles on soupçonne des drames, de rudes amours, des angoisses et des plaisirs sans amour" écrivait JF Josselin dans ce qui était alors le Nouvel Obs.
Le titre d'abord Memory Lane chanson du Kentucky natal que fredonne Dough et reprise par tous les personnages comme un long et lancinant leitmotiv
Une dédicace en page 7 au Dr Nguyen Manh Don d'abord n'est pas sans intriguer le lecteur qui veut en savoir plus sur ce "médecin mondain" du 7 rue Bonaparte dans le 6è, grand collectionneur et amateur de peintures puisque le grand Matisse lui a dédicacé un tableau: "A mon sauveur" pour avoir bénéficié de ses soins en acupuncture là où il excellait et pratiquait depuis les années 30.
Les liens obscurs d'Albert Modiano du Quai Conti avec le Docteur, un voisin en somme, ne nous sont que révélés par bribes dans les dessins de Pierre Le TAN ou au détour d'une phrase inachevée du Prix Nobel.
Alors par quelle goût du mystère et du hasard des mots posés là par le narrateur, vais-je tenter de saisir les dessous d'une histoire ni totalement vraie ni totalement fictive..?
Laissons Modiano nous conduire: "Je me demande par quelle mystérieuse chimie se forme un "petit groupe": tantôt il se disloque très vite, tantôt il reste homogène pendant plusieurs années, et souvent à cause du caractère disparate de ses membres on pense aux rafles de police qui rassemblent de minuit à l'aube des individus qui ne se seraient jamais rencontres sans cela."
Le petit groupe que j'eus le loisir d'observer à vingt ans, je n'en étais pas un membre effectif. Je l'ai côtoyé et cela m'a suffi pour en garder un souvenir assez net.."p.9
Au détour du récit on trouve une Maddy (Madeleine) qui a fui Saumur à 18 ans avec une amie pour venir à Paris...s'adonne à la peinture...Des hommes qui entrainent deux Suédoises en villégiature à Paris vers un hypothétique hôtel de la Plage en banlieue parisienne et rient de leur audace face aux deux ingénues...
Il y a là un maquignon marchand de chevaux qui gagne bien sa vie et jadis put-être avocat qui sait...
On y pratique le Golf et surtout le tennis à Neuilly comme d'autres Quai Branly ou en bordure du Bois de Boulogne à Roland Garros ou à la Baule...
Et puis souvent se joignait un Indochinois, fils d'un ancien ministre du dernier empereur d'Annam et qui était marié à une Marseillaise, une certaine "Pilou"...
Dô l'indochinois avait englouti beaucoup d'argent dans l'achat d'un petit aérodrome désaffecté , proche du Cannet.
Il avait été parait-il le pilote personnel de sa Majesté l'Empereur Bao Daï (comme le Docteur Manh Dôn fut le secrétaire particulier du même Empereur...)
On y croise aussi un administrateur de la Comédie Française qui tutoie Claudio Delval.. On pourrait penser à Jean Meyer et à Marcel Achard...
Mais comme conclut Patrick Modiano (ou le narrateur) entre deux soupirs au terme de ce récit :
" J'avais même employé une image qui l'amusa beaucoup: Il avait été comme la seiche, qui, sentant venir le danger, jette pour brouiller les pistes un nuage d'encre noire."
Quel plus bel aveu d'écrivain que ce nuage jeté sur ses personnages d'un récit qui s'estompe peu à peu et retrouve tout son mystère. A quoi bon réveiller tous ces souvenirs...
“L’homme n’est rien, une buée, une ombre absorbée par les ombres”. Truman Capote