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20 avril 2017 4 20 /04 /avril /2017 14:17

Le compte personnel de l'ambassadeur

Quand le pli anonyme arrive au Quai d'Orsay au début de l'été 2012, cela fait cinq ans que Bruno Delaye occupe avec faste la résidence de France à Madrid, magnifique propriété de 18 000 mètres carrés, située dans le quartier le plus chic de la ville. Avec sa piscine et ses tapisseries des Gobelins, c'est l'un des lieux les plus prisés de la capitale espagnole. Un palais magique pour organiser des réceptions. Pour la grandeur de la France mais pas seulement. L'ambassadeur ne rechigne pas non plus à louer le lieu. Et c'est là toute l'affaire.La trentaine de photocopies indique qu'il a facturé des sommes rondelettes à des firmes pour la mise à disposition de sa résidence. Cette activité lucrative est encouragée par Paris pourboucler les fins de mois du Quai d'Orsay. Seulement voilà : selon toutes les facturas5 photocopiées, l'argent a été versé directement à la Caixa, la caisse d'épargne catalane, sur le compte personnel de l'ambassadeur – et non sur un compte de l'ambassade !À peine a-t-elle ouvert le mystérieux colis, que sa destinataire, Nathalie Loiseau, la directrice générale de l'administration, comprend que l'affaire est politiquement très sensible. Elle sait que Delaye est un marquis de la Mitterrandie, dont Laurent Fabius, alors patron du Quai, est l'un des princes. Elle marche sur des œufs. D'autant plus qu'elle a été nommée par le ministre précédent, Alain Juppé, dont elle est proche. Et si ce colis était un piège ? Elle réunit ses proches collaborateurs. Ont-ils eu vent, dans le passé, d'irrégularités à Madrid ? « Oui, des trucs curieux », répond l'un d'eux. Elle respire et décide de transmettre la patate chaude à l'inspection générale du Quai, les « bœuf-carottes » des diplomates. Une saisine officielle.Le patron des inspecteurs s'appelle Xavier Driencourt. Ancien ambassadeur en Algérie, c'est un haut fonctionnaire gaulliste apparenté aux Debré. Un fidèle d'Alain Juppé, aussi. Que va-t-il faire de ce bâton de dynamite ? Comme tout le monde au Quai, il est intimidé par le passé et le réseau de Delaye. Et, pour l'instant, Fabius refuse de désavouer le camarade Bruno. Bien que Nathalie Loiseau l'ait informé des soupçons qui pèsent sur lui, le nouveau ministre a décidé de le nommer ambassadeur à Brasília. Après Athènes et Madrid, une troisième ambassade d'affilée, du jamais-vu. Décidément, l'ami Bruno est un cas à part. Le chef des « bœuf-carottes »6 décide de patienter avant de lancer une enquête.L'occasion d'agir se présente quelques mois plus tard, en décembre 2012. Delaye prend ses quartiers au pays de la samba. La voie est libre. En février 2013, une équipe d'inspecteurs déboule à l'ambassade de France à Madrid. Ils épluchent tous les comptes. Leurs soupçons s'alourdissent. Le 23 février 2013, Xavier Driencourt envoie à Laurent Fabius une note de synthèse confidentielle7. Il écrit que Bruno Delaye a, de juin 2008 à juin 2011, reçu sur son compte au moins 91 000 euros de grandes entreprises dans le cadre de la location de sa résidence. Or, ajoute-t-il dans ce texte, aucune facture ne justifie l'utilisation de ces sommes pour payer les frais de pince-fesses, tels que nourriture, boisson, décoration...

Le chef des inspecteurs s'étonne aussi que les sommes reçues par l'ambassadeur soient toujours des chiffres ronds : 6 000 euros de Marie Claire, 4 000 de L'Oréal, 3 000 de Kenzo, 5 000 de Citroën ou de Groupama. Par quel incroyable hasard le bilan comptable de ces soirées tombe-t-il toujours aussi juste ? Last but not least, contrairement aux règles en vigueur, l'ambassadeur n'a jamais informé le Quai d'Orsay de ces locations. « Ces éléments,conclut Xavier Driencourt dans sa missive à Laurent Fabius, ne constituent qu'un faisceau d'indices, de présomption, de détournement de fonds8. » Autrement dit, les inspecteurs soupçonnent Bruno Delaye de s'être discrètement mis dans la poche un droit d'entrée pour la location de la résidence de France, les entreprises achetant elles-mêmes tout ce dont elles avaient besoin pour leurs réceptions.

 Les deux lettres de l'intendant Quand il est informé des résultats de l'enquête, Bruno Delaye tente d'abord d'éteindre l'incendie, seul. Le 8 mars 2013, il fonce à Madrid et convoque Michel P.9, son ancien intendant à l'ambassade. Les deux hommes se retrouvent dans un restaurant. À la suite de quoi, Bruno Delaye remet aux inspecteurs une lettre tapée à la machine et signée par l'ex-intendant – une missive qui le disculpe... Michel P., qui d'ordinaire parle et écrit mal la langue de Molière, y affirme, dans un français châtié, que Delaye lui a confié les sommes données par les entreprises et qu'il s'en est servi pour acheter la nourriture et financer les décorations nécessaires aux soirées. Mais il ajoute que, comble de maladresse, lui, il n'a pas conservé toutes les factures des commerçants et autres fournisseurs !

Pas convaincus, les « bœuf-carottes » retournent à Madrid et interrogent l'intendant qui, d'une main tremblante, rédige une note, datée du 23 avril 201310, dans laquelle il reconnaît avoir menti : « Je n'ai jamais payé de factures pour des événements organisés à la résidence par des entreprises françaises ou locales. » Et il ajoute qu'en réalité tous les frais étaient engagés par les firmes elles-mêmes ; que Bruno Delaye ne lui a jamais remis les sommes en question. Autrement dit, l'ambassadeur aurait bien gardé les 91 000 euros pour lui.

 L'ancien golden boy, qui risque de fortes sanctions si le détournement de fonds est démontré, est immédiatement convoqué au Quai d'Orsay à Paris. Il est interrogé à plusieurs reprises par des hommes qu'il connaît bien, trois ex-ambassadeurs : l'inspecteur général Driencourt, Pierre Sellal, secrétaire général du Quai, et Yves Saint-Geours, directeur général du ministère. Les quatre hommes se tutoient mais l'interrogatoire est pénible. Delaye s'explique laborieusement, s'embrouille. Il argue que tout n'est qu'un problème comptable, mais ne convainc pas. On le laisse retrouver sa nouvelle ambassade, à Brasília.

En juillet 2013, il annonce qu'il doit quitter le Brésil. Pour « des raisons personnelles, à cause de sa vieille mère malade », assure-t-il à la presse. En réalité, il est rappelé par Laurent Fabius. L'affaire fuite dans Le Canard enchaîné11 qui écrit : « Les inspecteurs soupçonnent [Bruno Delaye] d'avoir quelque peu confondu la caisse de l'ambassade de Madrid et la sienne. » L'animal est atteint. Mais il n'est pas mort.

« Il est flamboyant, je suis gris »

Au cours de l'été, Delaye mobilise le Tout-Paris, récolte des soutiens dans tous les milieux. « Jack Lang, André Rossinot, Jean-Pierre Chevènement ou le très influent patron de la Compagnie des signaux [devenue Communication et Systèmes], Yazid Sabeg, interviennent au plus haut niveau en sa faveur12 », raconte un ancien haut responsable. Des artistes, des intellectuels, des politiques, des frères maçons font le siège du cabinet de Fabius, afin qu'il amende le rapport des inspecteurs. Au Quai aussi, certains collègues de gauche intriguent pour qu'il n'écope pas d'une sanction que les « bœuf-carottes » voudraient exemplaire.

Son plus grand soutien est... le directeur général de l'administration en personne, Yves Saint-Geours. Delaye a été son patron pendant trois ans à la direction de la coopération. Et il est issu de la même promotion de l'ENA que son grand frère Frédéric, l'un des dirigeants de Peugeot. Homme strict, Saint-Geours voue un véritable culte à l'extravagant Delaye. « Il est flamboyant, je suis gris13 », confesse ce protestant, sosie d'Alain Minc. Il ajoute : « Cette affaire a été une blessure pour moi. »

Le directeur général du Quai d'Orsay, qui conserve toujours le dossier « Delaye » dans son coffre, assure que, au cours de l'été 2013, Bruno Delaye est finalement parvenu à retrouver les factures de nourriture ou de décoration « qui avaient disparu ». Par quel miracle ? « Il a fait le tour des commerçants de Madrid qui lui ont donné des photocopies14 », affirme-t-il. « Oui, j'ai retrouvé les pièces et, en juillet 2013, je les lui ai remises15 », confirme l'intéressé. Sans préciser comment il a réussi un tel exploit pour les pièces remontant à 2008, c'est-à-dire cinq ans auparavant. Et la seconde lettre de l'intendant qui l'accuse ? Selon Bruno Delaye, « les inspecteurs l'ont forcé à écrire ce tissu de mensonges ». Son ami Saint-Geours ne dit pas cela, il assure seulement qu'à son avis l'ambassadeur « n'a pas détourné d'argent ». Et il précise : « Je le lui ai écrit. » Il admet toutefois que Delaye « n'a pas pu reconstituer les justificatifs de toutes les dépenses ». Et que « peut-être », lui, Yves Saint-Geours, « a été l'idiot utile de cette affaire ».

L'idiot de qui ? La découverte de ces vieilles factures arrange bien l'Élysée, où Bruno Delaye compte là aussi beaucoup d'amis. Le propre conseiller diplomatique du président de la République, Paul Jean-Ortiz, a été son adjoint à Madrid pendant trois ans. Le chef de l'État, lui-même, lui doit un service : début 2012, en pleine campagne électorale, François Hollande se rend à Madrid pour rencontrer le Premier ministre espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero. L'ambassadeur l'accompagne.

Colère de Sarkozy quand il découvre les images de l'entrevue... et la crinière de Delaye au journal télévisé. Jusque-là le président-candidat aimait bien ce diplomate fantasque qui avait réussi à le charmer en exposant dans sa résidence des toiles de son père Pal. « J'étais l'ambassadeur chouchou de Sarko16 », assure l'intéressé. Mais il a ouvertement pactisé avec l'ennemi. Le président décide d'annuler la nomination que Delaye attendait : à Rome et sa prestigieuse ambassade, le sublime palais Farnese. Quand Hollande apprend la nouvelle, il fait venir l'ami Bruno dans son bureau à l'Assemblée nationale. « Je suis désolé, s'excuse celui qui sera bientôt élu chef de l'État, je saurai te renvoyer l'ascenseur17. »

 Ceci explique-t-il cela ? François Hollande a-t-il protégé l'ami Bruno ? Une chose est sûre : le cas Delaye a été traité avec une grande mansuétude. De l'avis de plusieurs diplomates importants, il aurait au moins dû être interrogé par une commission paritaire disciplinaire. Une telle instance – qui se réunit par grade – a le pouvoir d'infliger des sanctions allant de la mise à pied à la radiation en passant par la mise en retraite anticipée. « Plusieurs agents d'ambassade ont été radiés pour avoir détourné quelques milliers d'euros18 », pointe un diplomate important. Mais, pour Delaye, la commission des ministres plénipotentiaires hors classe n'a même pas été réunie ! Il faut dire qu'en dehors du ministre, une seule personne a pouvoir de la convoquer : le directeur général de l'administration, un certain Yves Saint-Geours. « J'assume », clame ce dernier. Notons que dans ladite commission siège, au nom de la CFDT, un proche de François Hollande : Jean-Maurice Ripert, ambassadeur en Russie et ancien de la promotion Voltaire à l'ENA.

D'autres diplomates s'étonnent que les agissements de Bruno Delaye n'aient pas fait l'objet de l'article 40 du Code de procédure pénale, qui contraint tout fonctionnaire qui « acquiert la connaissance » d'un possible délit à en informer sans délai le procureur de la République. « Cela aurait permis, après enquête approfondie de la police, d'en avoir le cœur net et notamment d'interroger les entreprises qui ont versé de l'argent à Delaye, ce que les inspecteurs du ministère n'ont pas le pouvoir de faire », affirment plusieurs hauts responsables du Quai. Mais là encore l'usage veut que ce soit le directeur général de l'administration qui fasse une telle déclaration. Dans d'autres cas, il n'a pas hésité. Pour Delaye, il ne l'a pas jugé nécessaire. « J'assume », redit Yves Saint-Geours, qui jure n'avoir reçu aucune pression politique, ni de Laurent Fabius ni de l'Élysée. On n'est pas obligé de le croire ; d'autant moins que Bruno Delaye se serait personnellement entretenu de son affaire avec François Hollande et le chef de la diplomatie.

L'ex-golden boy s'en tire avec une simple égratignure.

Officiellement, l'administration lui reproche uniquement de ne pas avoir respecté une circulaire de 2007 qui oblige les ambassadeurs et les consuls à signer une convention avec les entreprises lors de la location de leurs résidences. Rien de plus. « Le ministre a décidé de vous infliger un blâme », lui écrit le secrétaire général du Quai d'Orsay, le 4 octobre 2013. Un blâme, comme à l'école ! « C'est plus qu'un avertissement », se défend Yves Saint-Geours, le plus sérieusement du monde. Et encore la sanction – qui sera effacée du dossier trois ans plus tard, c'est-à-dire le 4 octobre 2016 – n'est pas rendue publique. Si bien que Delaye peut agiter ses réseaux dans la presse et prétendre qu'il a été « blanchi19 ». Certes, on l'informe qu'il ne sera pas nommé dans une autre ambassade. Pas pour l'instant du moins. Il doit rester à Paris à lézarder pendant quelques semaines, et donc se contenter de toucher son traitement de base de ministre plénipotentiaire – 5 500 euros environ par mois –, ce qui n'est finalement pas si mal. Surtout que la Mitterrandie vient très vite à son secours.

Dîner d'État à l'Élysée

Deux mois après le blâme, en décembre 2013, Jacques Attali, le patron de PlaNet Finance, le recrute comme conseiller spécial20. Bruno Delaye reste toutefois diplomate. Puis, un an plus tard, il est nommé patron d'Entreprise et Diplomatie, une officine d'intelligence économique, dont l'État détient une minorité de blocage et qui possède un représentant du Quai d'Orsay au sein de son conseil d'administration. Il retrouve là un vieux collègue de la Mitterrandie : Jean-Claude Cousseran, ancien patron de la DGSE, qu'il a connu au cabinet de Claude Cheysson en 1982.

Sa mise à l'écart de la diplomatie française ne dure pas. Début juin 2015, il est convié à l'Élysée pour le dîner d'État en l'honneur du roi d'Espagne, Felipe VI. En septembre, il participe à la semaine des ambassadeurs qui réunit tous les plus hauts diplomates français. Et, fin octobre 2015, il est du voyage de François Hollande en Grèce21.

Notons enfin que le directeur général de l'administration, Yves Saint-Geours, celui qui vénère tant Bruno Delaye, sera nommé ambassadeur à Madrid. Depuis septembre 2015, il loge, donc, à son tour, dans la magnifique résidence, au cœur du quartier chic de la capitale, avec piscine et tapisseries des Gobelins. On ignore s'il la loue.

1. Archives personnelles de l'auteur.

2. Entretiens avec l'auteur, les 4 avril, 7 mai et 29 septembre 2015.

3. Entretien avec l'auteur, le 3 avril 2015.

4. Amours, ruptures et trahisons, Fayard, 2008.

5. Par exemple, la facture no A-28050359 de 4 000 euros en date du 19 février 2009, adressée à L'Oreal Espagne (département

activité cosmétique).

6. M. Driencourt refuse de parler en détail de l'affaire. Entretien avec l'auteur, le 3 février 2015.

7. Source confidentielle de l'auteur.

8. Note au ministre du 23 février 2013.

9. L'auteur préfère taire le nom de ce fonctionnaire modeste qui n'a joué qu'un rôle secondaire dans l'affaire.

10. Archives personnelles de l'auteur.

11. Le Canard enchaîné, 24 juillet 2013.

12. Entretien avec l'auteur, le 8 juin 2015.

13. Entretien avec l'auteur, le 11 mars 2015.

14. Ibid.

15. Entretien avec l'auteur, le 3 avril 2015.

16. Entretien avec l'auteur, le 3 avril 2015.

17. Citation de François Hollande rapportée à l'auteur par Bruno Delaye, le 3 avril 2015.

18. Entretien avec l'auteur, le 7 juillet 2015.

19. Le Nouvel Observateur, 24 octobre 2013. L'information sur le blâme « fuitera » cinq jours plus tard dans une lettre confidentielle (Le Bulletin quotidien, le 29 octobre 2013).

20. Les Échos, 18 décembre 2013.

21. Dossier de presse du déplacement de François Hollande en Grèce, les 22 et 23 octobre 2015.

 

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20 avril 2017 4 20 /04 /avril /2017 14:15

La face cachée du Quai d'Orsay  (suite)

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Un scandale étouffé

C'est l'affligeante histoire d'un ambassadeur de renom – et de gauche – soupçonné d'avoir confondu la caisse du Quai d'Orsay avec la sienne... et de l'inavouable mansuétude dont il a bénéficié de la part de François Hollande. Un dossier vite enterré parce qu'il révèle certaines pratiques détestables de l'establishment politico-diplomatique.

L'affaire commence au début de l'été 2012, quelques semaines après l'élection de François Hollande, quand un pli anonyme parvient au ministère des Affaires étrangères. Il est adressé à la direction générale de l'administration. Le paquet, dont l'expéditeur reste aujourd'hui encore inconnu, contient une liasse de documents comptables joints par un simple élastique. Il y a là une trentaine de photocopies de factures adressées à de grandes entreprises1 : L'Oréal, Vuitton, Kenzo, Ruinart, Balenciaga, Moët et Chandon, Rochas, Citroën, Relais et Châteaux... Des documents, remplis à la main, qui attestent la remise de confortables sommes – 3 000, 5 000 ou 7 000 euros... – à une seule et même personne : Bruno Delaye, ambassadeur de France à Madrid.

Delaye ? Au Quai d'Orsay, qui ne connaît pas sa crinière blanche, ses pochettes de soie et son teint éternellement hâlé ? Hâbleur, gouailleur, charmeur, ce sexagénaire est l'une des gloires de la maison depuis plus de trente ans. « Observez-le et faites comme lui ! » conseille un jour le publicitaire Jacques Séguéla à un parterre de diplomates agacés. Avec son rire tonitruant et son entregent d'animateur télé, ce renard argenté fascine et horripile. Il est drôle, brillant, bon vivant. Il aime le vin, les femmes et la corrida. Il adore s'afficher en saharienne sur de grosses motos, crinière au vent. C'est un flambeur, à l'aise partout. Il tutoie François Hollande et Carla Bruni. Il est l'ami prodigue d'une pléiade d'artistes, d'hommes d'affaires, de journalistes et d'hommes politiques de tous bords, qu'il reçoit avec faste et chaleur dans ses résidences officielles. Il les charme par sa joie de vivre, son entrain – et aussi par ses soirées légères qu'il organise régulièrement, ainsi qu'en attestent plusieurs de ses hôtes2.

Il est l'enfant chéri du Quai d'Orsay et de la Mitterrandie. Ministre plénipotentiaire hors classe – le grade le plus élevé pour un diplomate –, il maîtrise la machine des affaires étrangères comme personne. « J'ai grandi dans des ambassades3 », aime-t-il à répéter. Son père, Raoul, était lui aussi diplomate. Il l'a accompagné partout, de Bonn à Mogadiscio. En 1975, le jeune Bruno embrasse à son tour la Carrière. Il choisit le Quai à sa sortie de l'École nationale d'administration (ENA), où ses condisciples de la promotion Léon Blum s'appellent Martine Aubry, Alain Minc ou Bernard Bajolet, actuel patron de la DGSE.

À la différence de son père, il a le cœur et l'ambition à gauche. À l'ENA, il milite au Centre d'études, de recherches et d'éducation socialiste (Ceres) de Chevènement. En 1981, il s'introduit vite dans le cœur de la Mitterrandie. Claude Cheysson, premier patron du Quai d'Orsay après la victoire du 10 mai, le prend sous son aile. Il fait de lui un golden boy de la diplomatie française. À vingt-neuf ans, Delaye se retrouve conseiller au cabinet du ministre. À trente-neuf, il est bombardé ambassadeur, un record. Un an après, en 1992, il entre dans le saint des saints, à l'Élysée : François Mitterrand l'appelle à ses côtés pour remplacer son fils, Jean-Christophe, écarté à cause de ses relations d'affaires trop voyantes, à la tête de la sulfureuse « cellule Afrique » – une consécration.

Là, Bruno Delaye se lie d'amitié avec le secrétaire général, Hubert Védrine, avec lequel il gère le dossier empoisonné du Rwanda. Ils en partagent les secrets les plus sombres. Du coup, quand Védrine devient ministre des Affaires étrangères en 1997, il veut l'ami Bruno à ses côtés. Le fêtard coule alors des jours heureux à l'ambassade de France à Mexico, où, le soir, on croise à la fois des reines de beauté et le prix Nobel de littérature, Octavio Paz. Dans la capitale mexicaine, Bruno Delaye, roi des plaisirs, fascine. Il « assiste à des corridas en compagnie de l'actrice María Félix, écrit le journaliste Hubert Coudurier4, ou à des matches de boxe organisés par les gangs locaux qui le font applaudir quand il pénètre dans la salle ».

Son copain Hubert lui confie la puissante Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), en charge de sept mille personnes. Il relève le défi avec talent. Après la défaite de Lionel Jospin, retour à la dolce vita : Dominique de Villepin envoie Delaye, qu'il connaît depuis longtemps, dans une autre capitale joyeuse et ensoleillée, Athènes, où il fait merveille, puis à Madrid – autre paradis. Delaye adore l'Espagne, pays des couche-tard et des taureaux, où son père a lui-même représenté la France un quart de siècle plus tôt.

 

 

 
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14 avril 2017 5 14 /04 /avril /2017 14:03

« Beurk » : c’est par cette simple onomatopée que le Parisien a résumé son point de vue sur À bras ouverts, le nouveau film de Philippe de Chauveron, le cinéaste de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? Il est vrai que cette histoire d’un intellectuel de gauche à la BHL (à nouveau Christian Clavier, déjà “héros” du précédent film de Chauveron), pris au piège de ses postures généreuses et contraint d’accueillir chez lui une famille de Roms, a tout pour déplaire à la bien-pensance cultureuse. Intellos bobos hypocrites, Roms voleurs et profiteurs : le film assume sans complexe la caricature, sans peur de choquer les professeurs de morale ni finesse excessive. L’humour est assez convenu, et pas de la dernière subtilité, ce qui rendra la tâche d’autant plus facile à ses détracteurs. "Un film dangereux" et "inacceptable" pour Slate, "du racisme à haute dose" pour Le Monde, qui le juge "nauséabond". Des mois avant sa sortie, le film avait été obligé d'abandonner son titre initial, "Sivouplééé", jugé trop stigmatisant... Il est vrai que cette histoire d'un intellectuel de gauche, Jean Etienne Fougerole (Christian Clavier, déjà "héros" du précédent film de Chauveron), dont la chevelure flottante et la chemise ouverte font irrésistiblement penser à BHL, pris au piège de ses postures généreuses et contraint d'accueillir chez lui une famille de Roms, a tout pour déplaire à la bienpensance cultureuse. Mis au défi d'appliquer la morale généreuse qu'il prône à longueur de débat télé, en hébergeant dans sa vaste propriété quelques uns de ces roms qu'il reproche aux Français de rejeter, Fougerole s'y engage, croyant lancer l'une de ces paroles en lair dont il est coutumier. Mais le soir même, une famille Rom, à l'initiative de son chef Babik (Ary Abittan) flairant le bon coup, le prend au mot et menace de le dénoncer à la presse s'il ne tient pas parole...A bras ouverts

Dans sa description des Roms, "A bras ouverts" assume sans complexe la caricature, sans peur de choquer les professeurs de morale ni finesse excessive - le film, d'un humour prévisible et assez pataud, n'a rien d'un chef d'oeuvre. Dents en or, accent à couper au couteau entourés d'un invraisemblable maelström de poules et de cochons, Babik et sa famille cumulent toutes les tares abondamment prêtées à cette communauté par l'opinion populaire et les usagers de la ligne 1 du métro parisien? Sans être foncièrement mauvais ni même antipathiques (le seul vrai méchant est un Français de souche qui se fait passer pour un Rom pour profiter de la "générosité" de Fougerole), ils sont voleurs, paresseux, profiteurs, envahissants. Caricature à l'eau forte, donc, qui ne se soucie pas plus de nuance que, par exemple, le portrait des cathos coincés de "la Vie est un long fleuve tranquille".. Mais vis à vis de certaines communautés, caricaturer, c'est se moquer gentiment; à l'égard d'autres, ce ne saurait être que stigmatiser.

Bande annonce de A Bras Ouverts sur Allo Ciné

Mais est-ce là vraiment ce qui suscite l'ire de la critique ? Car la satire de la gauche caviar est plus féroce encore. Totalement hypocrite, Fougerole est sincèrement atterré de devoir accueillir ces Roms qu'il n'accepte qu'à la suite d'un chantage, et ne réussit à faire contre mauvaise fortune bon coeur que lorsqu'il comprend qu'adroitement médiatisé, l'épisode est susceptible de faire repartir en flèche les ventes de son livre. Artiste contemporaine inepte, son épouse (Elsa Zylberstein) a plus de mal à dissimuler les hauts-le-coeur que lui inspirent ses hôtes forcés et ses craintes pour ses précieux bibelots, serrés tous les soirs dans l'immense coffre-fort de la cave. Seul leur fils affiche un enthousiasme sincère, sans qu'on sache s'il est dû à son ingénuité ou à son attirance pour la fille de Babik, qu'il sera contraint à la fin d'épouser pour réparer l'honneur de celui-ci...au grand désespoir de Fougerole, secrètement effondré d'être ainsi lié pour la vie à cette famille de bons à rien. 

C'est sans doute, avant tout , cela qui focalisera l'indignation des bobos moralisateurs: leur renvoyer une image d'eux mêmes particulièrement ressemblante et pas franchement reluisante. Or, il n'est sans doute pas de milieu qui pratique autant l'entre soi, la bonne conscience sûre de son bon droit, le gauchisme mondain et le terrorisme intellectuel que celui du cinéma. Et beaucoup d'acteurs ou de cinéastes, prompts dans les médias à blâmer les Français pas assez enthousiastes à leurs yeux vis à vis des immigrés, pourront se sentir visés par le personnage de Fougerole. Comme le dit l'un des professionnels du cinéma que nous avons interrogés à l'occasion de cet article, qui ont tous exigé le plus strict anonymat ! "Donnez moi un exemple d'un acteur qui ait logé chez lui un réfugié ? Je n'en connais pas. Mais bien sûr, je ne connais pas tout le monde..."

Le milieu du cinéma est très en pointe dans ce combat, et pas d'aujourd'hui: on se souvient d'Emmanuelle Béart, en 1996, campant avec les clandestins qui occupaient l'église parisienne de Saint Bernard. Plus récemment en septembre 2015, des artistes conduits par le comédien Alex Lutz signaient un appel à la solidarité en faveur des migrants: Isabelle Adjani, Charles Berling, Dany Boon ou Lorant Deutsch figuraient parmi les signataire.

Le phénomène n'est pas exclusivement français, et partout dans le monde des people sont prêts à prêcher aux populations un accueil inconditionnel dont ils seront pourtant les derniers à devoir supporter les conséquences, protégés par un mode de vie bien éloigné des réalités quotidiennes de leur public: ainsi Jude Law s'est-il offert en février 2016 un joli coup de pub en allant visiter la "jungle" de Calais. Lui aussi étranger aux fins de mois difficiles, George Clooney, à la même époque, s'affichait à Berlin avec Angela Merkel et lançait lors d'une conférence de presse: "Et vous, vous faites quoi pour les réfugiés ?"

Sur les écrans français, on ne compte plus les films faisant l'éloge de la "diversité" (les récents Divines ou Bande de filles) ou l'apologie d'une immigration qui ne peut-être qu'une richesse - le titre de l'un d'entre eux, signé Philippe Lioret, résumant la position unanime du cinéma français sur la question: Welcome. D'autres s'attaquent de manière militante au rejet de l'autre, c'est le cas du récent Chez-nous , de Lucas Belvaux, qui visait explicitement, à quelques mois de la présidentielle, à mettre en garde les électeurs contre le Front National.

Malgré le peu d'efficacité de cette stratégie, la lutte contre le FN reste un marqueur indispensable pour qui veut afficher une belle âme de gauche. Lister les appels d'acteurs ou de cinéastes à faire barrage à Marine Le Pen, ou menaçant de quitter la France en cas de victoire du FN, suffirait à remplir un numéro de VA.

Preuve du décalage politique des célébrités du monde du spectacle avec la population française, une soixantaine d'entre elles se transformaient en novembre 2016 en ultime rustine d'un quinquennat en déroute, pour dire "stop au Hollande-bashing": parmi elles: Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Denis Podalydès ou Gérard Darmon... Le milieu des critiques et des attachés de presse n'est pas en reste: l'auteur de ces lignes en sait quelque chose, qui s'est vu bannir , à deux reprises , des listes de deux attachés de presse différents, qui lui reprochaient ses positions trop à droite...

Christian Clavier et Elsa Zylberstein sur France 5

Alors, tous de gauche dans le cinéma ?

Pas forcément mais comme l'explique un jeune cinéaste qui n'en est pas, "il n'y a que les gens de gauche qui peuvent parler; les gens de droite, on les reconnaît à ce qu'ils ne disent rien".

Ou alors c'est qu'ils n'ont vraiment plus rien à perdre, comme Brigitte Bardot. Mais l'exemple de Gérard Depardieu, pourtant le plus prestigieux des acteurs français en exercice violemment pris à partie après ses déclarations de soutien à Vladimir Poutine, a dû en  faire réfléchir plus d'un ....Comme celui de Guillaume Galienne, rappelé à l'ordre par le milieu pour s'être simplement au moment de l'attribution du César 2016 du meilleur film à Fatima, interrogé "sur le choix de la famille du cinéma français à vouloir tout le temps prôner la diversité". On se souvient d'un célèbre acteur que l'on interrogeait sur les intermittents du spectacle, soupçonnant fortement qu'il ne devait guère être favorable à leur agit-prop pas du tout intermittente: "Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Vous voulez que je me fasse crucifier ?"

Les plus courageux se contentent de critiquer les "intellichiants" (Christian Clavier)  ou de confesser un désamour avec une France " où tout est fliqué" (Gérard Lanvin). Seul à oser tacler la gauche et sa générosité en carton-pâte à longueur de spectacles, Fabrice Luchini prend bien soin de préciser qu'il n'est ni de droite ni de gauche: "Je ne suis pas de gauche parce que je pense que l'homme n'est pas de ce que les gens de gauche pensent qu'il est. Je n'aime pas dans la gauche l'angélisme, l'enthousiasme. je ne suis pas de droite parce qu'elle a oublié qu'il y eut une droite qui n'était pas affairiste, parce qu'elle a oublié les Hussards: Antoine Blondin, Roger Nimier, Jacques Laurent...."

Impossible de se dire de droite dans le milieu du cinéma, alors ceux qui le sont s'abritent derrière le qualificatif "anar", comme le réalisateur Pascal Thomas, qui pourtant ne mâchait pas ses mots dans une récente enquête de l'Express intitulée : " Pourquoi donc le cinéma français est-il de gauche ?": "les films réalisés par les gens dits "de gauche" sont le reflet d'une bien-pensance de nantis qui adoptent le style faux cul de la social-démocrassouille."

Mais, pour le milieu du cinéma, la gauche, c'est le camp du Bien, de la fraternité et de la générosité, la droite celui de l'égoïsme, de la haine et de l'exclusion. Il est donc proprement impensable que le monde de la culture abrite de "ces gens là". "Quand vous êtes à la même table qu'eux, nous explique un producteur, ils n'imaginent même pas que vous puissiez être de droite. je me souviens d'une soirée où des gens qui votent à droite se vantaient de voter à gauche. En fait, pour ce milieu, voter à gauche, c'est voter Mélenchon, voter à droite, c'est choisir Hamon..."

Le basculement, là comme ailleurs, s'est produit en 1968, le moment historique où il est devenu inavouable d'être de droite. C'est ainsi que Mai 68 a fourni aux cinéastes de la nouvelle vague, qui ont commencé très à droite, notamment en compagnonnant avec les Hussards Nimier, Laurent et Blondin dans des revues telles que ARTS ou LA PARISIENNE, l'occasion de se couler dans le moule idéologique dominant, seul Rohmer restant fidèle à ses convictions monarchistes: "En 68, analyse notre producteur, ils se sont déguisés, ils ont découvert la bonne conscience de gauche.". Et Truffaut, Godard, Lelouch interrompirent le Festival de Cannes par solidarité avec les ouvriers en grève....

Bonne conscience dont Cannes et les autres Festivals, où tout un milieu sursubventionné se réunit en tenue de soirée pour célébrer sur grand écran la misère du monde, fournissent une illustration caricaturale. A Berlin en 2016, un photo avait choqué: à l'invitation de l'artiste Ai Weiwei, , Charlize Theron entourée d'autres vedettes pareillement accoutrées, avait recouvert, le temps d'un selfie souriant, sa robe de soirée d'une couverture de survie, en solidarité avec les migrants....

Un geste "généreux" qui ne lui coûtait rien, au rebours des très dispendieux bijoux dont elle était parée. Exemple archétypal d'une militance qui vire à la plus atroce indécence.

Laurent DANDRIEU   in Valeurs Actuelles du 13 avril 2017

 

 

 

 

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28 mars 2017 2 28 /03 /mars /2017 20:27

PANCHITO Y EL DELFIN (1)

Angostura (2) no tiene cementerio, pero tiene una pequeña sepultura pintada de blanco y orientada hacia el mar. En ella reposa Panchito Barría, un chico fallecido a los once años. En todas partes se vive y se muere - como dice el tango " morir es una costumbre " -, pero el caso de Panchito es trágicamente especial, porque el niño murió de tristeza.
Antes de cumplir los tres años Panchito padeció de una poliomielitis (3) que lo dejó invalidó. Sus padres, pescadores de San Gregorio, en la Patagonia, cruzaban cada verano el estrecho para instalarse en Angostura. El niño viajaba con ellos, como un amoroso bulto (4) que permanecía acomodado sobre unas mantas, mirando el mar.
Hasta los cinco años Panchito Barría fue un niño triste, huraño (5), y casi no sabía hablar. Pero un buen día tuvo lugar uno de esos milagros acostumbrados en el sur del mundo : una formación de veinte o más delfínes australes aparecío frente a Angostura, desplazándose del Atlántico al Pacífico.
Los lugareños (6) que me contaron la historia de Panchito afirmaron que, apenas los vio, el chico dejó escapar un grito desgarrador (7) y que, a medida que los delfins desaparecieron, de la garganta del niño escapó un chillido agudo, una nota altísima que alarmó a los pescadores y espantó a los cormoranes, pero que hizo regresar (8) a uno de los delfines.
El delfín se acercó a la costa y empezó a dar saltos en el agua. Panchito lo animaba con las notas agudas que salían de su garganta. Todos entendieron que entre el niño y el cetáceo se había establecido un puente de comunicación que no requería de ninguna explicación. Se había dado porque así es la vida. Y punto.
El delfín permaneció frente a Angostura todo aquel verano. Y cuando la proximidad del invierno ordenó abandonar el lugar, los padres de Panchito y los demás pescadores comprobaron con asombro (9) que el niño no manifestó el menor asomo de pena. Con una seriedad inaudita para sus cinco años, declaró que su amigo el delfín tenía que marcharse, pues de otro modo lo atraparían los hielos (10), pero que al año siguiente regresaria.
Y el delfín regresó.
Panchito cambió, se tornó un chico locuaz, alegre, llegó a hacer bromas sobre su condición de inválido. Cambió radicalmente. Sus juegos con el delfín se repitieron durante seis veranos. Panchito aprendió a leer y a escribir, a dibujar a su amigo el delfín.
Colaboraba, como los demás chicos, en la reparación de las redes, preparaba lastres (11), secaba mariscos, siempre con su amigo el delfín saltando en el agua, realizando proezas sólo para él.
Una mañana del verano de 1990 el delfín no acudió a la cita (12) diaria. Alarmados, los pescadores lo buscaron, rastrearon (13) el estrecho de extremo a extremo. No lo encontraron, pero sí se toparon con un barco factoría (14) ruso, uno de los asesinos del mar, navegando muy cerca de la segunda angostura del estrecho.
A los dos meses Panchito Barría murió de tristezza. Se extinguió sin llorar, sin musitar una queja.
Yo visité su tumba, y dese allí miré el mar, el mar gris y agitado del invierno incipiente. El mar donde hasta hace poco retozaban (15) los delfines.

Luis SEPULVEDA, Patagonia Express - 1995

https://nounours36.wordpress.com/2015/01/07/le-neveu-damerique-de-luis-sepulveda/


(1) El delfín : le dauphin
(2) Angostura : pueblo de pescadores en el estrecho de Magallanes que separa la Patagonia de la Tierra del Fuego.
(3) Padeció de una poliomielitis : il fut atteint de poliomyélite.
(4) unbulto : un paquet, ici une masse inerte.
(5) Huraño : farouche, sauvage.
(6) Los lugareños : les villageois.
(7) Desgarrador : déchirant.
(8) Regresar : volver.
(9) Comprobar con asombro : constater avec étonnement.
(10) Los hielos : les glaces.
(11) El lastre : le lest
(12) La cita : le rendez-vous.
(13) Rastrear : faire des recherches, fouiller.
(14) Se toparon con un barco factoría : ils tombèrent sur un navire usine.
(15) Retozar : saltar con alegría.

Au nord de Manantiales, une localité pétrolière de la Terre de Feu, se dressent les douze ou quinze maisons d’un petit port de pêche appelé Angostura parce qu’il est situé en face du premier goulet du détroit de Magellan. Les maisons ne sont habitées que pendant le court été austral. Lorsque viennent le bref automne et l’interminable hiver elles ne sont plus qu’un élément du paysage.

Angostura n’a pas de cimetière mais une seule petite tombe peinte en blanc orientée vers la mer. C’est là que repose Panchito Barría, un gamin décédé à l’âge de onze ans. Partout on vit et on meurt – « mourir est une habitude » dit le tango – mais le cas de Panchito est 

particulièrement tragique, car il est mort de tristesse.

Avant d’atteindre l’âge de trois ans, Panchito fut frappé par une poliomyélite qui fit de lui un infirme. Ses parents, des pêcheurs de San Gregorio, en Patagonie, traversaient chaque été le détroit pour s’installer à Angostura. Ils emmenaient l’enfant avec eux, tel un précieux bagage, immobile sur des couvertures, face à la mer.

Jusqu’à l’âge de cinq ans, Panchito Barría fut un enfant triste, sauvage, qui ne parlait presque pas. Mais un beau jour eut lieu un de ces miracles qui surviennent au bout du monde : une bande d’une vingtaine de dauphins apparut devant Angostura, se déplaçant de l’Atlantique vers le Pacifique.

Les gens qui m’ont raconté l’histoire de Panchito affirmaient qu’à peine le gamin eut aperçu les dauphins, il laissa échapper 

un cri déchirant qui augmenta en volume et en désarroi à mesure qu’ils s’éloignaient. Enfin, lorsque les dauphins disparurent, un cri perçant jaillit de la gorge de l’enfant, une note très aiguë qui alarma les pêcheurs et effraya les cormorans, mais qui fit revenir un des dauphins.

Le dauphin s’approcha du rivage et se mit à faire des cabrioles dans l’eau. Panchito l’encourageait avec les notes aiguës qui sortaient de sa gorge. Les pêcheurs comprirent qu’entre le cétacé et l’enfant s’était établi une communication qui n’avait pas besoin d’explication. C’était ainsi parce que c’était la vie. Voilà tout.

Le dauphin demeura tout l’été dans les eaux d’Angostura. Et quand l’approche de l’hiver lui ordonna d’abandonner les parages, les parents de Panchito et des autres pêcheurs observèrent avec étonnement que l’enfant ne manifestait pas 

Inquiets, les pêcheurs partirent à sa recherche et explorèrent le détroit d’un bout à l’autre. Ils ne le trouvèrent pas, mais tombèrent en revanche sur un bateau-usine russe, un de ces assassins des mers, qui naviguait à proximité du deuxième goulet du détroit.

Deux mois plus tard, Panchito Barría mourut de tristesse. Il s’éteignit sans pleurer ni murmurer une plainte.

Je suis allé sur sa tombe, d’où j’ai regardé la mer, la mer grise et agitée des premiers jours d’hiver. La mer où il y a peu encore folâtraient les dauphins.

 

Luis SEPULVEDA - Le Neveu d'Amérique 1996

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11 mars 2017 6 11 /03 /mars /2017 14:59

Pour une poétique de l'autobiographie de Jean Pierre CARON

Préface de Jacques GARELLI  Editions OYSIA/OUSIA

Cette approche phénoménologique de l’écriture autobiographique cherche à mettre en évidence les enjeux réels d'un genre littéraire qui, hors de toutes considérations structurelles ou stylistiques, pose en termes neufs le problème de l'identité personnelle. Dans quelle mesure le « je » qui s'exprime peut-il véritablement se retrouver dans le personnage "surgi" des mots, dans cette identité que Paul Ricoeur qualifie de narrative.

Au-delà de la traditionnelle question de la sincérité de l'intimiste, c'est-à-dire de l'affrontement binaire entre vérité et mensonge, réalité et fiction., le texte exprime toute la complexité des rapports de l'homme à lui-même et au monde qui l'héberge. Loin de se, réduire à la simple restitution d'une entité pré-existante, à la cristallisation langagière d'une singularité autosuffisante, l'écrit se déploie en monde, s'ouvre vers le fond abyssal qui recèle son: coeur l'énigme insondable de notre être. 

Jean-Pierre CARRON, né 'en 1963 à Amiens, possède une double -formation scientifique et philosophique. Auteur d'une thèse de Doctorat en Philosophie consacrée au problème  de l’ identité personnelle: dans l'écrit autobiographique,. il a publié de nombreux articles dans différentes revues, telles que "Critique", "les études philosophiques",ou "l'Art du comprendre".

PREFACE DE Jacques GARELLI

L'ouvrage de Jean-Pierre Carron mérite attention par la manière dont il unit une méditation
 philosophique sur le journal intime et le récit autobiographique à une enquête littéraire approfondie, où la part accordée à l'oeuvre de Kafka, de Gide, de Rousseau, plus proches de nous, de Primo Levi. de Jorge Semprun, de Paul Celan, d'Edgar Morin, nourrit sa réflexion d'analyses concrètes et minutieuses. D'emblée, l'auteur-précise une question de vocabulaire concernant les notions de carnets, de cahiers, de lettres, de journaux intimes, de moires autobiographiques, qui le conduit à entrer en dialogue avec les critiques littéraires et les philosophes contemporains, qui ont abordé ces problèmes, tels que Georges Gusdorf, Paul Ricœur, Michel Beaujour, Philippe Lejeune, Jean François Chiantaretto. Suit une discussion historique nuancée sur le point de départ de l'écrit autobiographique, dont l'origine est controversée. Les uns, d'une manière restreinte, la situant au XVIIIème siècle, d'autres, tels que Georges Gusdorf, Georg Misch la faisant remonter au Moyen âge et dès l'Antiquité. Selon cette dernière perspective, Jean-Pierre Carron se réfère aux Confessions de Saint Augustin, aux écrits de Guillaume d'Occam et de Maître Eckhart, au Journal de

bord de Christophe Colomb, aux Essais de Montaigne ainsi qu 'à l'influence prépondérante de Martin Luther dans la promotion de 1'« écriture de soi ». L'intérêt de ces références historiques est majeur pour les discussions concernant l'esprit de la « Contre-Réforme » avec Saint Ignace de Loyola, celles du jansénisme avec Pascal, qui enseigne que le « moi est haïssable » et la lutte de Bossuet à l'égard de toute complaisance concernant « analyse intérieure » de style « réformiste » protestant.

A l'horizon de ces premières investigations, se dégage une certaine constance selon laquelle le titulaire du « journal » ou du « récit auto- biographique » semble assuré d'une « identité à soi »

 

C’est ainsi que le Journal intime de Frantz Kafka,selon les analyses

approfondies auxquelles il est soumis (Du Judaïsme  ancestral( à Felice: exister par le journal.1,' année1911 vers un judaisme salvateur. Felice : ultime espoir,) constitue l’horizon indispensable à l’Approche kantienne du problème de I' l'identité personnelle

Le lecteur ne manquera pas d'admirer la clarté selon laquelle Jean Pierre Carron expose la distinction kantienne, ici nécessaire jamais  versée à ce débat, entre les jugements réfléchissants (caractéristiques de l’œuvre

d'art. Situation qui interdit de concevoir, sur le plan du recouvrement de l'identité objective, le discours sur la vie tel qu’il s’écrit

et celle-ci telle qu'elle est conduite.Discussions approfondies et nuancées qui dêbouchent sur une  conception non repré sentative de l'écrit journalier »•

C'est selon toute la complexité philosophique de cette situation que

Jean-Pierre Canon peut soulever désormais la question entrelacée de l'identité narrative et la problématique du langage, qui relève en fait du hiatus repéré par Kant entre jugements déterminants et jugements réfléchissants. L'originalité de la démarche de l'auteur se situe à ce ni-

veau, qui lui permet de jeter un regard neuf sur l'entreprise récente de Paul Ricœur concernant la question de identité personnelle  et de

l'« identité narrative », telles que le problème fut posé dans : Temps récit et dans : Soi-même comme un autre.

La nouveauté apparaît dans la part désormais majeure accordée au « faire » du langage, dans l'autobiographie. Sa dimension de « poieîn », en somme, qui confère au journal intime la situation paradoxale d'une « identité spécifique », « complexe » et d'une « contingence assumée », qui engendre une nouvelle conception de la mimèsis. Celle d'une « Bio-Graphie-Auto », où le renversement des termes n'obéit pas à un simple jeu de permutation à caractère sémiotique soucieux de procéder à quelque « effet de sens », Différemment c'est d'une mutation de la vie, opérée par la graphie qui conduit à une certaine part d'« autonomie » du journal intime, dont il est question, dans cette « réappropriation » de l'expérience de la mimèsis.

,

 

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18 février 2017 6 18 /02 /février /2017 13:38

Extrait :

JEAN RASPAIL

PECHEUR DE LUNES  qui se souvient des Hommes ( paru en 1986 Robert Lafont).

On n'oubliera pas le dernier canot des Alakalufs disparaissant à jamais dans le labyrinthe du détroit de Magellan, emportant la mémoire d'un peuple qui venait de la nuit des temps...

Pêcheur de lunes est de la même veine. D'autres Hommes, d'autres peuples s'en vont et s'effacent du ciel de la mémoire comme une étoile qui s'éteint à des années-lumière... Ils ne vivent plus que dans la tête de Jean Raspail, et lui seul, avec ce livre, a le pouvoir d'entretenir la trace de leur passage sur cette terre.

Dans Pêcheur de lunes, il y a trente ans de voyages peut-être initiatiques. Une sorte d'errance inspirée, un jeu de pistes à travers le monde... et en France. Un livre très personnel, de ferveur et de foi, et alerte en même temps: "les mémoires romanesques" de Jean Raspail.

L'extrémité glacée de l'Amérique, c'est la Terre de Feu et les canaux chiliens de Patagonie, un des rares endroits du globe où les cartes marines les plus récentes se perdent encore en pointillés au fond de certains fjords désolés. Et là, une poignée de dolicho-céphales à crâne bas : les derniers Fuégiens. Des demi-dieux, eux aussi, héritiers des mêmes temps où la Lune, fille du ciel, commandait à tout l'univers avant la venue des hommes

Coeur de beauté

Lune au visage ample

Lune au visage brûlé

Visage coléreux!

Partons chez la fille du Ciel.

Extrait du rituel Ona,ou Selknam

Tout ce qu'il en restait, une chanson. Rien de plus émouvant que leur dernier recensement, en 1971, publié par la revue du musée de l'Homme. Alakalufs 47. Onas ou Selknams : 5. Yaghans ou Yama-nas ?

Le point d'interrogation, pour les Yaghans, c'est le mot disparu au fronton des monuments aux morts.

Celui qui apparaît sur les bilans funèbres : tant de morts, tant de disparus. L'espérance de revoir un disparu .ne survit que dans le coeur des siens, contre toute raison et puis tout s'efface. Yaghans : zéro. Le dernier des Yaghans , somme et fin de tout un peuple, vivait de charité à la mission de Navarino, sur le canal Beagle. Un jour il disparut, dans le vent et la pluie. Une barque manquait chez les marins-pêcheurs de l'île. L'homme était vieux. On ne l'a jamais revu.

Lune au visage brûlé

Coeur de beauté

Partons chez la fille du Ciel...

Lola est morte aveugle, dans une petite cabane en bois, sur la rive du lac Fagnano, au sud de la Terre de Feu. Ayant conduit sa vie avec courage jusqu'à son terme solitaire, elle était la dernière représentante de race pure des Onas. Elle avait eu quelques amis, sur la fin de sa vie, ethnologues pour la plupart. Comme son lointain cousin du rio Desaguadero, Manuel Inta, elle avait pu se raconter avant de mourir à plus de cent ans. je ne l'ai pas connue, sinon trop tard, en pèlerinage au lac Fagnano où mes compagnons et moi nous nous battions, àtravers la forêt pétrifiée, pour tenter de rallier Ushuaia en auto. Lola... J'ai seulement prié sur sa tombe et personne ne peut plus me dire, aujourd'hui, si cette tombe existe encore. Mais j'écoute souvent le son de sa voix.

Cela s'appelle SELK'NAM CHANTS OF TIERRA DEL FUEGO, ARGENTINA

(47 Shaman Chants and Laments) Coffret de deux disques 30 cm, 33 t. notice et analyse cantométrique Ethnie Folkways FE 4176, New York quelqu'un d'autre était arrivé à temps, Ann Chapmann, ethnologue, du coeur, de la tendresse, rigueur scientifique et analyse cantométrique comprises, voilà ! Mieux que rien. Et puis c'est bouleversant, une voix de mille ans. Les Laments dits par Jérémie! L'Evangile raconté par la bouche de saint jean! Cela me bouleverse... et cela m'horripile.

https://youtu.be/JjuE4LEsolE

Lola Kiepja (n. ? - m. 1966, en Tierra del Fuego) fue una chamana y cantante selk'nam argentina, conocida como " la última ona " o la " última selk'nam ", debido a que fue la última persona perteneciente a la cultura selk'nam (ona), en conocimiento directo de las tradiciones, cantos y artes de esa cultura milenaria de Tierra del Fuego, en el extremo sur del continente americano. En realidad, se he señalado que Lola Kiepja no fue en realidad la "última ona", y que esa condición podría caberle Angela Loij, fallecida en 1974.
La muerte de Lola Kiepja ha sido relacionada con el genocidio y la marginación sufridas por el pueblo selk'nam y otras culturas indígenas en América.

Lola Kiepja  1964Biografía

En 1964 la etnóloga francesa Anne Chapman para registrar las tradiciones y cantos selk'nam, según el testimonio de Lola Kiepja. Chapman ha relatado que la noción de que Lola Kiepja podía considerarse "la última ona", corresponde a la arqueóloga también francesa Anette Lamins, quien le transmitió a Chapman la importancia de registrar su testimonio.
Chapman registró los cantos de Lola Kiepja en un grabador magnetofónico y varios de esos registros fueron publicados en dos discos producidos por el Museo del Hombre de París, bajo el título Selk'nam chants of Tierra del Fuego, Argentina (Cantos selk'nam de Tierra del Fuego, Argentina).

Il y a quelque chose d'artificiel là-dedans. Le néolithique en coffret-cadeau! Le coffret, le prix marqué, le numéro de référence comme un matricule, la pochette couleur, l'électricité pour faire tourner le disque et le pétrole pour le fabriquer, le fauteuil trop confortable de mon salon, à Neuilly, si loin des tempêtes australes, et tout ce bazar de foire de hi-fi japonaise, c'est trop d'emballage discordant pour écouter l'éternité, cela casse le rêve. Le disque est devenu introuvable. Tant mieux. Va bientôt venir le temps d'en recueillir le dernier exemplaire, d'élever une stèle, au lac Fagnano, et de l'y sceller, près de la cabane où mourut Lola, ou sur sa tombe, si on la retrouve, puis de l'arroser de pisco, d'eau bénite, et d'allumer quatre bougies piquées sur deux chandeliers de fer-blanc, comme à Iru-Itu. Liturgiquement, surnaturellement, religieusement, bondieusement, comme on voudra, ainsi survivront les Onas. Mais pas à 33 tours-minute, 33 tours et puis s'en vont...

S'en sont allés aussi les Alakalufs que je vis disparaître avec leur barque, du pont de mon cargo, au détour du cap Tama, dans le canal austral désert qui longe l'île de la Désolation. Sous la pluie glaciale. Dans le vent. Il pleut trois cents jours par an dans les canaux patagons. Le vent y souffle en tempête la moitié de l'année. je ne connais rien de plus effrayant que ces montagnes opaques, gorgées d'eau ruisselante, qui forment à travers le déluge permanent une interminable succession de refuges inabordables. Un immense empire liquide où la terre et l'eau se fondent en un seul élément. Un univers de désespérance. En lisière de cet empire, sur la côte est de l'île Wellington, à mi-chemin du canal Messier, se trouve le poste de Puerto Eden : un môle, une station de radio, un sergent et deux hommes, quelques baraquements délabrés et vingt Alakalufs, les derniers des derniers. Les nomades de la mer ont renoncé à l'empire. Leurs canots pourris-sent sur la grève. Ils ne font rien. Ils regardent la pluie. Ils remâchent leurs souvenirs. Le gouvernement chilien les nourrit et les soigne, mais on ne peut plus rien faire pour eux. Le point de nonretour est dépassé. Ils meurent l'un après l'autre, dévorés par la syphilis, la tuberculose, la tristesse, l'inutilité, et surtout la conscience qu'ils ont de leur mort définitive. Les femmes sont devenues stériles. Les Alakalufs de Puerto Eden n'engendrent plus que des tombes. Les croix faites de deux planches clouées ne portent ni nom, ni date. A quoi bon ? Tout est accompli.

Enfin, il y a les Alakalufs fantômes. Ceux que j'ai vus s'éloigner, un matin de février, au-delà de la frontière invisible des dix mille années qui nous séparaient. En ce temps-là (le début des années cinquante), deux ou trois familles, une poignée d'hommes, de femmes, d'enfants refusaient encore de se fixer. Tout aussi malades et plus misérables encore que ceux de Puerto Eden, ils avaient au moins conservé le choix de leur mort. C'était une forme de liberté, la dernière dont ils pouvaient disposer à leur guise. De temps en temps, à bout de courage, ils se portaient au point de passage des rares navires qui se risquaient dans les canaux.

Silencieusement, ils entassaient sur leur barque tout ce qu'on leur jetait, vivres, hardes, tabac, boîtes de lait, toiles de tente, puis on ne les revoyait plus durant de longues périodes qui pouvaient aller jusqu'à plusieurs années. Ensuite, ils ne réapparurent qu'en de si rares occasions qui s'espaçaient de plus en plus, qu'à présent l'on peut supposer qu'ils ont définitivement disparu.

Cette disparition fascine un petit nombre d'explorateurs, de voyageurs et d'écrivains. J'ai connu naguère un Canadien qui avait passé dix ans de sa vie à les chercher sans succès, pour les apercevoir un matin, tout comme moi, à la sortie du canal Smith, qui fuyaient sous la tempête, dans leur barque.

L'amiral Barthes se souvient d'avoir repéré leurs tentes en peau de phoque au fond du canal Molyneux, sur l'îlot Vaudreuil. Le Français José Emperaire, ethnologue, est mort en explorant une grotte qui leur avait servi de refuge. je considère son unique livre, Les Nomades de la mer, comme la bible des Alakalufs, un chef-d'oeuvre que 'e conseille vainement aux éditions Gallimard de rééditer. La mort prend toujours son tribut : on m'a signalé, il y a trois ans, la disparition d'un jeune Français qui avait formé le projet de suivre la trace des Alakalufs en kayak. Il s'était enfoncé, seul , dans le dédale des fjords, et on ne l'a jamais revu. L'écrivain Saint-Loup, exilé en Argentine, a lui aussi hanté, c'est le mot - ce qu'il appelle les îles de la pluie. En cinq années, il n'a pas rencontré un seul Indien, mais de nombreux emplacements de camp, certains récents, éloignés parfois de plusieurs centaines de milles les uns des autres. Sa conclusion exprime la tristesse de ses chasses mystiques : " Les Indiens ont emporté

l'âme de la Cordillère australe et ce désert surnaturel représente pour nous le poids du péché... " Et cependant, il y a quelques mois seulement, un jeune Valaisan de mes amis qui nomadisait en bateau à voile dans les parages nord de Magellan, en a croisé deux, sur une grève, qui campaient près de leur minuscule canot. Ceux-là venaient de Puerto Eden dont ils fuyaient la torpeur mortelle, un peu comme des prisonniers évadés.

Ce fait exceptionnel ne m'a été signalé qu'une fois.

Car on m'écrit souvent, des confins de ces chemins parallèles, d'Ushuaia, de Punta Arenas, de Puerto Natales, de Puerto Montt, escales obligées de quelques petits navires à voile, menés par des équipages de rêveurs mythiques, qui s'enfoncent dans le labyrinthe patagon à la recherche des Alakalufs. Le plus souvent des Français, des Suisses, un ou deux Allemands, mais point d'Américains, faut-il en déduire un jugement ? Un autre Français, Jean Delaborde, ne vit, lui aussi, que pour cette chasse au fantôme. Officier de marine en retraite, il y consacre toutes ses ressources, qui sont modestes, s'embarquant pour Magellan dès qu'il déniche l'un des rares navires, le plus souvent au départ de Hambourg, à emprunter encore cette voie. En quinze ans, sa route a croisé trois fois celle des barques alakalufes nomades. C'est le champion de cette quête du Graal, le plus chanceux, si l'on peut dire, de nos chevaliers de la pluie. Chance ô combien mélancolique! Je le sais, puisqu'elle me fut donnée.

Plus qu'une rencontre, pour moi. Une vision, une apparition, une sorte de tragique miracle qui me rapprocha de Dieu plus qu'en toute autre circonstance de ma vie. J'ai déjà évoqué cette scène dans deux de mes romans. Kandall, le héros de Septentrion, la raconte à des enfants dans un train qui les emporte à travers la nuit des temps. C'est également à un enfant qu'un autre de mes personnages, le vieux monsieur du jeu du Roi 1, l'écrit pour l'initier au royaume et au mythe de la Patagonie. J'y fais aussi allusion dans l'avertissement aux lecteurs de qui se souvient des Hommes ... @ un livre que je portais en moi depuis trente-cinq ans et qui est un chant de vie et de mort à la mémoire des Alakalufs. C'est dire le long cheminement qui s'est fait depuis ce jour de février 1951 o˘ m'étaient apparus ces fils de Dieu dans leur misère et leur solitude.

Ils étaient six dans cette barque. Trois hommes, deux femmes et un enfant d'une huitaine d'années.

Ils ne venaient pas de Puerto Eden mais de " par là ", et ils montraient, derrière eux, le sombre décor d'où ils avaient surgi, le labyrinthe de l'Ultima Esperanza, un dédale de canaux obscurs qui s'ouvre au cap Tama. Et où allaient-ils? " Par là. " Par là, se dressait l'île de Santa Ifies, un massif montagneux inexploré, recouvert de glaciers, battu par le Pacifique qui s'y abat en vagues énormes, au sud du détroit de Magellan. Il était parfaitement inconcevable qu'une vie humaine pût s'y accrocher, et cependant, c'était bien cette masse blanc et noir, là-bas, qu'ils désignaient. Saint-Loup y avait d'ailleurs découvert, au péril de sa vie, plusieurs années auparavant, les traces inconstestables d'un bivouac.

1. Editions Robert Laffont, Paris, 1976.

2. Editions Robert Laffont, Paris, 1986.

 

L'enfant ne souriait pas. Tous avaient le regard mort, ils nous regardaient sans nous voir. Ils étaient d'une saleté repoussante, couverts de croûtes. L'un d'eux, blessé, avait le pied enveloppé dans des chiffons sanglants. Ils ne prononcèrent pas un mot de plus, tandis que le commandant faisait descendre le long du bord, au bout d'une corde, une palanquée de vivres et de vêtements qu'il avait rassemblés à la hâte. Tout cela ne dura pas plus de cinq minutes, car le navire, ayant stoppé, dérivait dangereusement vers des rochers.

je criai dans le vent pour savoir au moins leurs noms. Sans réponse. Une femme leva la tête vers moi. Elle avait les cheveux plaqués sur le visage par la pluie qui tombait à torrents. J'aperçus une épaule décharnée à travers un trou de la couverture trempée qui lui servait de vêtement et me souvins que les Alakalufs, jadis, vivaient nus par les froids les plus rigoureux. Accroupie au fond de la barque non pontée, l'autre femme écopait avec une boîte de conserve. Déjà, les hommes et l'enfant avaient empoigné les avirons. La barque déborda rapidement, s'éloignant du navire qui avait repris sa route.je fis un geste de la main, en adieu. La femme qui me regardait baissa aussitôt la tête. J'ai dit la conviction que j’avais que dix mille années nous séparaient. Il s'en ajouta une autre : ces malheureux le savaient aussi, écrasés par cet éloignement sidéral.

Sur l'autre rive d'un fossé de cent siècles, les derniers Alakalufs nomades s'enfuyaient encore plus loin, volontairement, dans le passé.

Transi, mouillé jusqu'à l'os, l'âme désolée, je regagnai ma cabine. Par le hublot, je ne vis plus rien que la pluie.

Allongé sur ma couchette, je repris la lecture de mon livre de chevet. C'était aussi, je l'ai appris plus tard, celui de Giono : les Instructions nautiques. Bien que ne quittant plus Manosque, Giono était un familier de la haute montagne et de la haute mer.

" Pour la montagne, écrivait-il, j'ai quelques poèmes tibétains; pour la mer, j'ai les Instructions nautiques. "

Nul besoin de battre le rappel de mes souvenirs. Il me suffit de relire l'étonnante litanie géographique qui scanda la route de mon cargo vers Punta Arenas, où je débarquai : le havre du Dernier-Espoir, le cap Anxieux, l'île de la Désolation, Port-Famine, les Furies orientales et les Furies occidentales, le récif des Rôdeurs, le cap des Veuves, semé d'épaves fracassées. Il n'y a pas de cap Alakaluf, de Port-Yaghan ou d'île des Fuégiens. Rien qui rappelle les pitoyables seigneurs de ces lieux dans la toponymie des Blancs. Trois hommes, deux femmes, un enfant, l'arche sous le déluge, sauvant la mort, et non la vie.

Ils furent partout. Ils sont nulle part.

Nos chandeliers de fer-blanc s'éteignent. La nuit est aveuglante...

C'est plus au sud, encore, que j'ai découvert le mot de la fin, au moins celui de ce chapitre. Voulant visiter d'autres îles au-delà du canal Beagle à la recherche des derniers Yaghans, j'avais embarqué sur une grande chaloupe à moteur appartenant à des prospecteurs yougoslaves émigrés en Terre de Feu.

Naturellement, je savais que je ne trouverais pas un Yaghan, mais peut-être au moins une trace de campement, un lieu où fermer les yeux, méditer, se laisser emporter par le silence qui ressuscite les peuples morts. Au lieu de cela, nous sommes tombés sur une ancienne base stratégique abandonnée depuis la fin de la guerre.

Tous les oiseaux qui avaient fui l'envahisseur, autrefois, les grands pétrels, les pingouins manchots, tous les lions de mer à crinière avaient repris possession de leur empire. Mes Yougoslaves et moi, nous nous sommes frayé un chemin à travers cette foule animale jusqu'aux baraquements abandonnés, et là, comment l'expliquer ? cette base morte s'est mise à vivre. Les chemins parallèles se sont peuplés.

L'impression était si forte que j'en ai fait beaucoup plus tard une courte scène du jeu du Roi. Il se passait quelque chose d'étonnant...

Cent portes battaient au vent, s'ouvraient, se fermaient. Poussée par le vent, une neige poudreuse glissait à toute vitesse sur le plancher. On la voyait se déplacer, grimper le long des couchettes, courir sur le bar de la salle à manger et recouvrir d'un tapis blanc tous les bureaux de l'état-major en épousant la forme des objets, téléphones, lampes et paniers à courrier. D'autres bruits se faufilaient à travers le vent, chocs sourds, plaintes, craquements. Une étagère s'écroula devant moi, laissant filer une pile de dossiers que la neige emporta. Tout était moisi, décomposé, rongé. Par une fenêtre, je vis un petit avion tout blanc se déplacer lentement sur la piste enneigée. Il avait rompu ses amarres rouillées et le vent le poussait. Il heurta un baril vide, puis un autre, avec un bruit de cloche, perdit son aile sous le choc, l'empennage de sa queue, son hélice, tout cela gangrené jusqu'au coeur de l'acier, puis s'agenouilla au bord de l'eau, ses roues ayant cédé. Dehors, il y avait aussi des machines étranges caparaçonnées de glace, sauterelles géantes en fil de verre qui avaient d˚ être des engins de levage. Elles tremblaient sur place, s'ébrouaient, sursautaient, et des milliers de cristaux de glace jonchaient le sol sous leurs pieds.

Photos Croisière NCL "Norwegian Sun" Janvier 2017 @pchevrel
Photos Croisière NCL "Norwegian Sun" Janvier 2017 @pchevrel
Photos Croisière NCL "Norwegian Sun" Janvier 2017 @pchevrel
Photos Croisière NCL "Norwegian Sun" Janvier 2017 @pchevrel
Photos Croisière NCL "Norwegian Sun" Janvier 2017 @pchevrel
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Photos Croisière NCL "Norwegian Sun" Janvier 2017 @pchevrel

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6 février 2017 1 06 /02 /février /2017 12:46

La Folle Journée 23e édition s'achève et si tout le monde ou presque a intégré le concept déposé selon la formule de Beaumarchais, on se demande encore pourquoi au singulier alors qu'elles sont 10 en Pays de Loire, autant à Bilbao, Ekaterinbourg ou Tokyo et essaiment à Marseille ou Noirmoutier !
La halle à frémi sous les tonnerres rythmiques des Steel Band appelés fort à propos les Renegades et les danses de cour ont joyeusement flirté avec les danses roumaines, moldaves ou hispaniques.
Pour croiser au plus prêt les 1800 artistes invités par René Martin "himself" pour quelques 300 concerts rien ne vaut le hall du Novotel voisin où l'on croise tout a la fois Boris Berezowsky, Anne QUEFFELEC, Shiba Diluka ou Joël Suhubiette de Toulouse (en interview) mais aussi le Chef JF Hesser de Poitiers et sa garde rapprochée, le duo des inséparables Claire Désert et Emmanuel Strosser qui se cherchent l'un l'autre comme dans une fugue de Bach enfin les escadrilles d'attachées de presse et Directeurs artistiques du Varsovia ou de l'Oural...
Un autre lieu branché où vous croiserez le staff de France Musique: Marc Voinchet suivi de Pierre Charvet et leur smartphone en quête du scoop video qui fera date avec Shina Diluka ou les animatrices vedettes de la station qui accroît son audience de 1,5 points pendant cette semaine, c'est bien sur le Studio des directs ! Le public a droit a un sauna par 25° en 
Interne mais au plus prêt de ses idoles ou massé derrière une vitre ou il assiste aux gesticulations et mimiques du "happy few" dûment badgé France Musique.
Mais pour vibrer aux "rythmes du monde" (nouvelle dénomination retenue plus large que "la Danse") il faut pousser les portes, (gardées jalousement par une armée de bénévoles du CREA depuis 20 ans) des salles de concert rebaptisées : Nijinski,Pavlova,Duncan,Balanchine, Gades, ou Marie Sallé et Jean Georges Noverre à redécouvrir sur Wikipedia.
On a aimé réentendre les Ensembles Voices8, et les Éléments, Anne QUEFFELEC concentrée dans Bach et Haendel où les rythmes et la danse pouvaient être suggérés à l'auditoire, très attentif lui aussi.On a aimé ce duo  violon superbe de Fanny Clarimagand et David Bismuth au piano dans Sarazate et Piazzola.La retransmission sur Arte du concerto de Chopin par Berezowski et l'orchestre de l'Oural qui on fait le job et annoncé la tournée à Ekaterinbourg en avril prochain. Les "chanteurs oiseaux" dans une chorégraphie minimaliste n'ont pas réussi à vraiment dialoguer avec Le duo piano violon même dans Papageno de Mozart et les 2 prestations de qualité ( mention au jeu subtil de Shani Diluka) ont manqué d'une harmonie et d'un dialogue attendus par le public.
Côté grande Halle les masses installées pour Frédéric Lodéon en ont eu pour leur attente patiente avec un beau panel d'invités en direct mais sans réelles surprises : Brahms pour Claire Désert ou écoute des disques pour Galliano.Découverte heureuse des danses cubaines  d'Ignacio Cervantes par les élèves du Conservatoire et mexicaines qui rendaient un bel hommage au titre de ces Journées.
Les restaurants squattés par les Seniors qui semblent réserver les tablées d'une année sur l'autre pour le plat du jour a 10€.
Restent les collectionneurs d'affiches , de gadgets qui auront pu recevoir Panama d'Arte, sacs roses, porte clés, crayons et biscuits et pour les plus chanceux les disques de France Musique ou la Croisière musicale.
La traditionnelle conférence de presse du dimanche marque la fin de l'aventure mais cette année, sans FM, sans journalistes étrangers, (Japon, USA) cela sonne étrangement la routine et les visages blasés des organisateurs en témoignent.
Bon, on apprend que les 1800 artistes "bradent leur cachet pour l'honneur d'entrer dans la grande famille" (sic) mais assurés de mettre un vrai  coup d'accélérateur à leur carrière mondiale. Les 300 concerts ont fait le plein à 94% soit 1,5 point de plus qu'en 2016 de quoi réjouir la multinationale familiale Martin & Co  de René à Jean René ,Mirare, Créa etc...
L'insolence du succès croissant des Folles Journées, des Vieilles Charrues, de Piano aux Jacobins,Marciac et La Roque d'Antheron en plein marasme du marché du disque et du spectacle vivant posent plusieurs questions: les Séniors sont-ils éternels ? Les rockers de Woodstock sont-ils éternels ? La relève par les publics scolaires et étudiants des conservatoires garantira-t-elle une longévité pour ce produit de grande consommation :"Un stade de la Beaujoire par jour à la Cité des Congrès" (sic) et qui sont les successeurs affichés de René Martin ? 
L'Attachée de presse Françoise Jan ou Aline Pote n'en disent mot car dans cet entourage là, comme dans toute cour princière le sujet est tabou et on commente peu...
Il n'est que d'écouter les journalistes présents qui tutoient le patron !
Il reste que le succès est au rendez vous et que les acteurs économiques et médiatiques se frottent les mains de l'hôtellerie à la restauration en passant par les médias locaux et transporteurs.
Prions ensemble pour que ce thème 2018 de l'Exil ne marque pas celui des artistes français et que les artistes étrangers en exil en France soient aussi invités à la table commune et pas seulement ceux de la génération oubliée de 1934 à 1945 !

La Folle Journée 2017  de Nantes: Choses vues...
La Folle Journée 2017  de Nantes: Choses vues...
La Folle Journée 2017  de Nantes: Choses vues...
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24 novembre 2016 4 24 /11 /novembre /2016 16:46

Square de la ComédieMiscellanées du Lez.

Mercredi 23 novembre

Hier je me suis donc levé de bon matin mais encore sonné par cette Soirée Théma d’ARTE consacrée aux fastes et à la chute de l’Empire Ottoman, pour me rendre à la Clinique du Millénaire pour un nouvel examen du cœur, examen de routine dont ma sœur m’avait dit dans un message qui se voulait réconfortant  que son beau frère en était malencontreusement mort à la sortie du test….RIP.(REP pour les francophones)

Me voilà donc couché et sanglé comme pour une descente de skidoo ou de Bobsleigh ; harnaché de capteurs par une assistante énergique et manifestement habituée à l’exercice ; entre alors une deuxième assistante du professeur qui décrit l’épreuve d’effort avec force détail en précisant bien qu’il faudra maintenir une allure de 55 à 65 pour être qualifié à l’arrivée. On me laisse ensuite quinze minutes en état de sommeil jusqu’à l’arrivée du Professeur qui porte un nom de Casinos et dont j’entends les échanges sonores dans le couloir.

La porte s’ouvre et la préposée suspendue à son téléphone ne cessera de s’entretenir avec ses amies et son assistant (sans doute un étudiant en cardio) bien de sa personne.

On me demande alors de pédaler jusqu’à ce que la côte rende l’effort plus pénible et les injonctions de l’assistante pus pressants. Je respire, suffoque et sens le sang me monter à la tête et dois supporter les conversations de plus en plus animées du Professeur. Impossible de me concentrer sur ma modeste tâche et l’écran affiche en rouge que je ne dépasse pas les fatidiques 55 estimés. L’assistante s’impatiente, l’échographe elle, éclate de rire sur son smartphone dont j’espère une hypothétique panne de batterie.

Voilà, on me libère enfin de mes attaches et de mes capteurs. Les écrans ont produit ce que l’on attendait d’eux à savoir un électrocardio que va interprèter  le professeur qui a enfin mis fin à sa longue tirade téléphonique. Le verdict tombe ; les inquiétudes du cardiologue au vu du scan échographie précédent, qui avait révélé de artères encombrées ne nécessite pas d’opération urgente. Il aura fallu tout de même pas moins de  7 agents médicaux (secrétaires comprises)  pour traiter cette intervention bénigne qui sera facturée 170 euros et soixante six centimes à la sécurité Sociale et à ma Mutuelle . Je peux donc poursuivre une vie normale et me voilà  marchant d’un pas léger sur le trottoir le long du tramway jusqu’à mon café habituel des Rives du Lez pour une revue de presse du matin.

Jeudi 24 novembre

C’est décidé je poursuis donc ce « Journal » commencé en 2011 après l’édition de ma chronique généalogique qui s’est révélée être une quête inachevée et biaisée car encombrée de trop de souvenirs d’une vie palpitante mais qui se résumait à une chanson américaine de Diana Ross « Do you know where you are going » thème du film Mahogany de 1975 astucieusement traduite par Nicole Rieu la chanteuse des années 70  qui en a fait son tube: « En courant ». Je me souviens l’avoir chantée de Mexico au Caire et me souviens des paroles que je fredonnais alors :

En courant, après le bonheur,
Après le soleil, après le vent d'ailleurs,
Tu vas casser ton coeur,
En courant.

En courant, autour de la terre,
De plus en plus haut et par dessus la mer,
Tu ne vois plus l'eau claire,
Du courant.

Tu as perdu l'envie de rire,
Tu ne sais même plus comment t'endormir,
Tu voudrais que les arbres soient toujours verts
Et refaire un autre univers, mais à l'envers.

En courant, sans savoir pourquoi
Comme un oiseau fou, après je ne sais quoi
Tu ne vois même pas
Que je t'attends

Je t'en supplie, arrête-toi
Juste le temps de regarder vers moi
Juste un instant, juste le temps d'être heureux
Et tu pourras repartir après, si tu veux

Et voilà que cette course folle s’est arrêtée au bord du Lez d’où j’écris cette chronique matutinale depuis un lit devenu mon confident entre les derniers "Complots" de Philippe Sollers qui m’enchante quand il virevolte de Mme de la Fayette à Stendhal et de  Shakespeare aux dadaïstes avec brio ou peste et fulmine contre Baudelaire et Flaubert ou démythifie l’extravagante Colette en sa retraite du Palais Royal . J’ai opté depuis quelques années pour la liseuse devenue ma complice où s’accumulent sur  des étagères virtuelles mes plus grandes joies. Je n’ai pas à mes côtés Céleste Albaret pour recueillir mes pensées du soir ou du matin mais comme il serait bon de pouvoir parfois échanger sur ces phrases toutes simples confiées par mes auteurs comme le font les bloggeuses amies secrètes et pourtant inconnues sur les réseaux sociaux qui accompagnent mon quotidien.(Fannie Musedemai par exemple)

Ce matin donc, après cette nuit d’orage qui a emporté Saint Martin de Londres et sorti les rivières de l’Hérault et du Gard selon un principe météorologique qualifié de « phénomène cévenol » bien connu désormais, je me hasarde à jeter un œil par la fenêtre et finalement découvre qu’il est trop tard pour la chronique de Canteloup et trop top pour les Grandes Gueules qui ont d’habitude le don de me jeter sur mon smartphone pour un tweet rageur et impulsif au nom d’une bien pensance  outrageuse et d’une allégation manifestement hypocrite. Il y a longtemps pour ma gouverne et ma bonne santé mentale que je n’écoute plus le 7/9 du Matin sur la Radio d’Etat que certains persistent à trouver « la meilleure de France » selon les sondeurs d’opinion d’Audiométrie et de Médiamétrie. Le ton persifleur et la mauvaise foi y sont passés maîtres et la revue « Causeur » d’une autre professionnelle du persiflage a su en démonter les rouages ravageurs.

Pensant trouver un apaisement à mes éruptions de mauvaise humeur je me cale sur France Culture , autre radio du Service Public et m’installe à la table de la Fabrique de l’Histoire. Hélas, quel idée m’a prise ? On y passe un reportage sur la Laïcité et une relecture de l’Histoire à l’aune d’une expérience jugée pilote . Jugez en plutôt !

Une équipe de jeunes lycéens d’Epinay sur Seine fait visiter sa commune enchantée  du 9-3 à des étudiants de Science-Po de la promotion « Richie » (Alias Richard Descoings si bien décrit par la journaliste Raphaelle Baqué) Les jeunes potes du Lycée Jacques Feyder font applaudir la statue de François Mitterrand en souvenir du Congrès d’Epinay, lieu de la réconciliation du PS en 1971. Les jeunes évoquent ensuite le renouveau de leur commune grâce à un Centre commercial « lieu de  vie  et espace de rencontres ».Malraux lui, croyait encore aux Maisons des Jeunes et de la Culture  On connaît la suite (lire Murray) et je décide d’envoyer un tweet rageur aux amis de la Fabrique (Emmanuel Laurentin) et à Brice Couturier par la même occasion lui qui sait parfois prendre ses distances face à cette Najatocratie triomphante. On sait désormais comment on réécrit l’Histoire dans certains cas et les nouveaux programmes 2017 en font état.

La météo n’est pas assez favorable pour calmer mes humeurs et aucun appel des amies ce matin ne me décide à passer le Lez pour le traditionnel café au Pétrin des Barques, lequel remplace paraît-il une séance chez le psy. A propos de psys, le fils d’Annie est venue de Paris au Congrès National des psys au Corum entouré du gratin Dr Philippe Courtet et Brigitte Rimlinger.pour 4 jours de folies et d’assemblées plénières où 400 confrères doivent pousser leur cri  de colère selon la presse bien informée du Sieur Baylet. La Gazette locale L’Agglorieuse, toujours bien informée me dit à l’oreille que Dame Baylet non contente des agissements de son cher époux est allée trouver refuge chez le Sieur Fabius, un Sage celui là, qui a su pour ne pas éclabousser le Quai, prendre le large au Conseil d’Etat et permettre ainsi au petit Thomas d’être exempté de toute procédure judiciaire à son encontre (L’Agglo Rieuse encore)

Nourritures spirituelles n’empêchent pas nourritures tout court et sur les conseils de mes proches on me dit que la soupe au choux vaut mieux que la « Soupe Pop » qu’a programmée Dame Chevallier à l’Opéra de Montpellier en pleine tourmente depuis qu’il a été épinglé par la Cour Régionale des Comptes. Cet Opéra fait tout pour faire revenir de nouveaux publlcs par des matinées Mozart « gratuites pour les étudiants », l’Orchestre de la Garde Républicaine pour les « sans dents », et des opérations toutes plus racoleuses les unes que les autres. Un ami mélomane me dit qu’il rentre de New York et repart pour Barcelone ou Marseille et attend la Traviata à Sète, c’est tout dire… Il n’y a que Philippe Caubère pour oser avouer chez Claire Chazal dans son « Entrée Libre » pourtant aussi  convenue et consensuelle que du revu et corrigé par Anne Sinclair mâtinée d’Huffington Post, que l’éviction brutale de Jean Marie Besset du Théâtre des Treize Vents fut "aussi ignoble que brutale" . D’autant plus ignoble que le dit Jean Marie a dû quitter les terres montpelliéraines pour rejoindre son fief de Limoux dans l’Aude où il a créé son beau théâtre NAVA des Jeunes Auteurs de l’Aude  où ses fidèles de Paris (Armelle Heliot, Judith Magre ou Philippe Haroir) et quelques uns de Montpellier  viennent éclairer le Château de Serres ou le cloitre de l’Abbaye de Saint Hilaire. Nous somme évidemment loin des gesticulations et imprécations de l’imposteur Rodrigo Garcia qui lui a succédé au " HtH " vite rebaptisé pour faire oublier le label Théâtre National.On ne tweete pas à l’Argentin qui vous lance haut et fort « Vous me faites chier » On se fend parfois d’un courrier aux lecteurs de la consensuelle Gazette ou du Midi Libre pour exprimer sa désapprobation. Une récente émission qui lui était consacrée sur Divergence FM a pu nous permettre de mesurer l’indigence des propos et son niveau de maîtrise du français ,  de celui qui avait toute la reconnaissance et estime d’Aurélie Filipetti et de Philippe Saurel. Je n’oublierai jamais les sorties provocantes de son mentor ibérique Fernando Arrabal qui avait entraîné la sortie du Consul d’Espagne au Théâtre Graslin de Nantes (sous la dictature de Franco il est vrai dans les années 60) sous les huées du public et les boules puantes qui agrémentaient sa prestation.

Mais au moment où je finis cette chronique, je m’aperçois que la nuit est tombée sur Antigone et que je n’ai pas fini mon chapitre sur Stendhal par Sollers, et que m’attendent la biographie de Will le Magnifique de Stephen Greenblatt, "l’homme dé" de Luke Rhinehart et le Dictionnaire amoureux de l’Islam, du trop tôt disparu Malek Chebel. comme le regretté Abdelwahab Meddeb : Ecrivain, poète, directeur de la revue internationale *Dédale* , producteur de l'émission hebdomadaire «Cultures d'islam» que j’avais rencontré à la Comédie du Livre de Montpellier et qui s’étonnait des questions lancinantes et rétrogrades des journalistes locaux sur les « ‘Printemps Arabes » lui qui croyait si fort aux lendemains qui chantent.

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6 novembre 2016 7 06 /11 /novembre /2016 19:41

Planète ibérique : une histoire des sons latins qui ont imprégné le monde

par Véronique Mortaigne (France Culture - 27 Aout 2015 )

Le Boléro est né en Espagne au XVIIè siècle,il a été remis au gout du jour au XIXè  dans la province cubaine de l'Oriente bien avant l'installation de la base américaine de Guantanamo en 1903.
Le premier boléro cubain est écrit en 1883 par Pepe SANCHEZ et il s'appelle "Triteza" , (tout un programme !).
A l'origine danse espagnole dans les bals et les théâtres très académiques, codifié en 1783 par Sebastian SEREZO le maître à danser de Charles III, roi d'Espagne et des Indes.
Puis les escuelas boleras se multiplient en Espagne,le mot "bolero" pourrait faire référence au gilet que portent les andalous mais aussi au surnom donné au fameux maître à danser,el "volero" le danseur volant.  
 Le bolero latino-américain est une variante du boléro espagnol, syncopé et rythmé par la clavé.
 Sur Internet évidemment boléro est invariablement associé au gilet court et cintré mais surtout à Ravel.
 Pour l'écrivaine cubaine Zoé VALDES, le plus beau boléro de la terre est "perfidia" du mexicain Alberto Dominguez, immortalisé aux Etats Unis par Nat King COLE . Pourtant lorsqu'elle construit la bande son de son roman "la douleur du dollar" en 1996, elle choisit d'inclure "Perdoname consciencia" (pardonne moi ma conscience) chanté par Maria Ama Cecada. Elle illustre ainsi ce que les cubains appellent le "feelin" (le feeling) mode de vie et d'expression artistique. Voilà bien un exercice franco-espagnol, il s'agit de Gloria Lasso avec l'orchestre de Franck Pourcel en 1959 : "Tuya" : je serai je suis tienne chante la catalane aux 80M d'albums vendus qui se fit connaître en France par des tubes imparables  tels que " Etrangers au Paradis" (1955) une reprise de "Stranger in Paradise" de Tony Bennet ou encore "Amour,castagnettes et tango" et "Buenas noches mi amor" évidemment.
 Elle s'installa au Mexique par amour du pays,mais il est vrai que le Mexique adopta le romantisme du boléro avec un appétit de gourmet. Agustin LARA en fut un pilier.
"Amor de is amores" par Agustin Lara né dans l'Etat de Vera Cruz,au Mexique en 1897. Pianiste de bar dans la capitale, il s'engage dans les troupes de la Révolution mexicaine qui combattent les troupes du Président Porfirio DIAZ.Il est blessé en 1917 et commence à travailler à la radio.Grand amateur de corridas et de femmes, il est le compositeur du fameux "Piensa en mi". Mais pour l'heure poursuivons notre voyage au Mexique.
Jorge Negrete officiait lui aussi à la radio, et avait commencé à chanter de l'Opéra.Il fut un acteur célèbre , passa par la NBC américaine,il a arrangé le boléro à la sauce ranchera avec l'accent mariachi et il a adoré chanter les compositions de ses contemporains tels que "La que se fué" de José Alfredo Jimenez.
José Jimenez était un garçon  au coeur tendre qui adorait sa femme Paloma, et était porté sur la bouteille mais c'est bien son interprète Jorge Negrete qui mourut d'une hépatite en 1953.
L'univers mexicain en séduit plus d'un, dont un brésilien qui n'était pas porté sur la bouteille mais plutôt sur les herbes naturelles,Joao GILBERTO . En 1970, le guitariste et chanteur Joao GILBERTO inventeur de la bossa nova avec Tom JOBIM et Venicius de MORAES, fait un voyage au Mexique avec sa femme la chanteuse MIOCHA, il l'a rencontrée en 1965 après l'épisode Stan Getz/Astrud Gilberto. Ils sont au Mexique avec leur fille BEBEL GILBERTO née en 1966 à New York.Ici ils se trouvent bien au Mexique et le séjour s'étire sur plusieurs années. Joao GILBERTO est un admirateur du mexicain Agustin LARA mais aussi du Cubain Ernesto LECUONA, dont il a interprété cette "Eclipse" en 1970.
En fait, prêt à tous les vague à l'âme, le Brésil a toujours aimé ces chansons sucrées, désespérément fatalistes telles que Maria BETHANIA peut les magnifier.Pour la bahianaise Maria Bethania, CUBA est un pays frère, avec une seule différence, la langue.
En 1996 elle a monté un spectacle et enregistré un merveilleux disque avec la doyenne du Buena Vista Social Club, Omara PORTUONDO.
Ensemble elles chantent une chanson contemporaine de Juan FORMEL le fondateur du Groupe Los VanVan . Excellente chanteuse de boléros romantiques à la sauce brésilienne, Maria Bethania a choisi de mettre ici du nerf dans ses doutes amoureux, pas encore au niveau toutefois de l'effrontée canteautor gitane  Lola FLORES et de son guitariste de feu el Pescailla son mari.Lola FLORES de Barcelone qui nous chante "Historia de un amor" est sans doute une des chansons les plus utilisées sur les karaoké japonais et autres,elle a été composée par le panaméen, Carlos Eleta ALMARAN.L'homme n'a rien d'un artiste maudit, il n'a jamais été pianiste de bar, fonda même la télévision panaméenne et dirigea le groupe industriel familial et fut ministre du Travail, puis des Affaires Etrangères,et négocia avec les Etats Unis le sort du Canal de Panama dans les années 1960. "Historia de un amor" s'envola vers le succès vers les années 1955 grâce à un film du même nom dont le rôle titre était tenu par Libertad LAMARQUE.
Carlos Eleta ALMARAN l'avait écrite après la mort de sa femme Mercédes, fauchée par la polyo en 1954.Il se remaria. L'influence de ce boléro fut énorme, et se propagea vers les inconscients des artistes juqu'à Cuba où des poètes obscurs finissent toujours par rencontrer de jeunes français. Peintre, mélodiste et sculpteur,dont quelques écrits sur l'art et la peinture ont été publiés dans de rares revues culturelles, le cubain, Miguel Angel RUIZ a confié avant sa mort en 2001 quelques bribes de compositions au musicien français Sébastien MARTEL,rencontré à la Havane. Ce dernier monte un groupe avec son frère et des copains comme Vincent SEGAL,"Las Ondas Martenes" en référence aux Ondes Martenot.Il consacre un album à cet auteur méconnu et dissident en 2003 et ils lancent ce texte qui marque la fin de l'amour  et mis en musique ici par Fred MARTEL dans la lignée des boléros dont Almodovar fera un ample usage avec ses interprètes fétiches,Chavela VARGAS, Caetano VELOSO,et Luz CAZAL.
Luz CAZAL fut souvent invitée au Festival Inerceltique de LORIENT,pour être comme Fidel CASTRO ou Gabriel GARCIA MARQUES, d'origine galicienne au nord de l'Espagne où l'on joue de la cornemuse et des fifres en mangeant des poulpes et des palourdes,(je caricature) Avant d'être la voix de "Talons aiguilles"  le film de Pedro Almodovar réalisé en 1991, elle est une énorme vedette poprock de l'Espagne . "Piensa en mi" (Agustin LARA 1937)  est édité sur l'Album "A contra Luz" énorme succès dans la péninsule.   
 Parfois le boléro glisse vers le tango et inversement,surtout quand la suavité du talent est au rendez-vous. Carlos Gardel, un fils de rien né à Toulouse,en avait audelà de toute raison.  "El Dia que me quieras" est un tango composé par Carlos GARDEL sur un texte d'Alfredo LEPERIN.Il l'a enregistré en 1934, un an avant le terrible accident d'avion sur l'aéroport de Meddelin en Colombie.
Et puisque nous nous sommes écartés du boléro mais pas du romantisme,voici l'une des guajiras cubaines les plus célèbres au monde. Ce n'est pas un hasard si Pete Seeger grand héros du folk militant américain mort en 2014, reprit Guantanamera et il s'en explique longuement d'ailleurs dans cet enregistrement public au Carnegie Hall en 1963. Guantanamera c'est un peu, en plus politisé la Lambada parce qu'on ne sait pas qui l'a volé à qui ? Les experts lui ont trouvé une origine andalouse,estimant qu'il s'agisait d'un air connu au XVIIè siècle à CUBA,mais en 1920 le chanteur et animateur de radio Joselito FERNANDEZ,se l'attribue.La justice cubaine d'ailleurs a donné raison à ses héritiers en 1993. Au départ la chanson raconte l'histoire d'une femme,une jolie femme de Guantanamo, puis,le compositeur espagnol Julian ORBON l'embellit et la pare d'un extrait de versos sencillos du poète José MARTI , héros de la guerre d'indépendance de CUBA en 1895, dont d'ailleurs Pete SEEGER nous a raconté la vie. Le peuple en a fait une chanson d'opposition à la politique américaine lors de la Crise des missiles en 1962.A cette époque la Reine de la Salsa, Celia CRUZ s'était déjà réfugiée aux Etats Unis.  "Kiss me my love,my darling, buenas noches mi amor,Celia CRUZ était originaire de Santo Suarez, un quartier pauvre de la Havane,enfant d'ailleurs elle gagna sa première paire de chaussures en chantant pour un couple de touristes.  En 1950, elle est la chanteuse du fameux groupe "la Sonora Matanzera" surnommée le cafe con leche, elle ne cessera de prononcer ce mot fétiche de ses chansons: "Azucar"(le sucre)   
Il fallait bien y ariver, on ne pouvait pas l'ignorer, c'est bien lui le Bolero del Raval,le Bovélo de Babel enfin bref,vous avez d'abord entendu ce détournement total par ce catalan de France Pascal Comelade puis le scat du farceur gascon André Minvielle deux occitants de France.Le Boléro de Maurice Ravel est une musique de ballet pour orchestre qui date de 1928. La béninoise installée à New York Angélique KIDJO a donné une version chantée en langue FON. Le Boléro de Ravel est un des thèmes les plus joués au monde ce qui fait le bonheur de la SACEM la Société des Droits d'Auteurs français.
Le Boléro est un genre qui inspire,et restons donc en Afrique. Di Dor em Mor Teofilo CHANTRE et  Mariana RAMOS décident d'enflammer une ile du Cap Vert en 2001, tous les coeurs chavirent au son du créole capverdien sous les étoiles du port de Mureo passant de douleur en douleur avec délectation et la transformant en or pur.

France Culture - Planete iberique - 2015-08-27 - Bolero.mp3
Planète ibérique (4/5)   Le boléro

Quote by 27 août 2015 - France Culture - Continent musiques d'été Planète ibérique (4/5)
    Le boléro

    A l'origine, le boléro est une danse espagnole de bal et de théâtre, très académique, codifié par Sebastian Cerezo, le maître à danser de Charles III, vers 1780.
    Puis les "escuelas boleras" se multiplient en Espagne.
    Le mot Boléro pourrait faire référence au gilet que portaient les Andalous, mais aussi au surnom donné à Sebastian Cerezo, "El Volero", le danseur volant.

    Programmation musicale


    + + - Te de la vida entera, Perdoname Conciencia par Mariama Secada, "BOF Zoé Valdes"

    + + - Gloria Lasso
    + Tuya
    "Chante en Espagnol"

    + + - Agustin La
    + Amores de mis amores
    "Lo Mejor de Agustin Lara"

    + + - Jorge Negrete
    + La que se fue
    "El Charron Immortal, Sus Grandes Exitos"

    + + - Joao Gilberto
    + Eclipse
    "Joao Gilberto en México"

    + + - Maria Bethania Omara Portuando, Tal Vez

    + + - Lola Flores
    + + - Antonio Gonzalves
    + Historia de un amor

    + + - Las Ondas Marteles
    + Y despues de toto
    "Homenaje à Miguel Angel Ruiz"

    + + - Luz Casal
    + Piensa en mi
    "BOF Almodovar"

    + + - Carlos Gardel
    + El Dia Que Me Quieras
    "El Dia Que Me Quieras Y Sus Exitos"

    + + - Pete Seeger
    + Guatamera
    "We shall not be moved"

    + + - Buena vista social club
    + Dos Gardenias

    + + - Cela Cruz
    + + - Carlos Argentino
    + Mi amor, buanas noches
    "Mucho, mucho, Bolero"

    + + - Pascal Comelade
    + El bolero del Raval
    "El pianista del Antifaz"

    + + - André Minvielle
    + Bovelo de Babel
    "Vocal Chimie d'erre"

    + + - Angelique Kidjo
    + Lonlon (Ravel's bolero)
    "Djin Djin"

    + + - The Beatles
    + Besame Mucho

    + + - Christophe
    + Dernier Baiser
    "Clichés d'amour"

    + + - Teofilo Chantre
    + + - Mariana Ramos
    + Di Dor em Or
    "La nuit du Cap Vert au Zénith"  

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3 novembre 2016 4 03 /11 /novembre /2016 19:23

Le bloc-notes est le genre qui convient le mieux au voyageur, à celui qui souffre de ne pouvoir consigner par écrit tout ce que sa curiosité lui offre d’émerveillements ou lui cause de chagrin.

Qu’est-ce qu’un bloc-notes ? Un herbier. Sur le chemin, on cueille une aimable vision, dans un livre, on rafle une pensée. En ville, une scène de la vie quotidienne nous émeut, nous indispose. Sur un mur, une affiche clame un slogan absurde. Dans le ciel, un nuage prend la forme d’un visage aimé. À la radio, un homme politique achève de trahir l’honneur. Ces copeaux, tombés de la roue du temps, sont jetés sur le carnet de notes. Plus tard, à la table de travail, il s’agira d’ordonner la moisson. Chaque pièce, patiemment collectée, s’agencera pour former un motif, dessiner une ligne. Les éclats du kaléidoscope s’agrégeront, les plis se déploieront, les miettes s’ordonnanceront.

De l’harmonisation de ces instantanés jaillira une géographie de l’instant.

Le bloc-notes c’est l’hommage que l’observation rend aux détails. Les détails composent la toile du monde. Ils sont les atomes de la réalité, nom que les myopes donnent à la complexité, à la fragmentation des choses. Le faiseur de vitraux assemble des milliers d’éclats de verre. Soudain, surgit un dessin. Les Parties ont formé un Tout. De même pour le bloc-notes : les notes s’assemblent, elles font bloc.

La plus belle définition de cette forme courte, consistant à précipiter sur une feuille de papier un saisissement de l’âme, un étonnement de l’esprit, un ravissement de l’œil, c’est Baudelaire qui la donne.

Dans une lettre à Arsène Houssaye, il définit ainsi son projet de recueil de petites proses poétiques qui sera publié sous le titre : Le Spleen de Paris.

« Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on pourrait dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superflue. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. »

Les blocs-notes publiés ici sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde.

Sylvain Tesson

Géographie de l'instant

Edition des Equateurs (2012)

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