Rares sont ceux aujourd'hui qui se souviennent de cet homme, hussard de la république qui débuta son apostolat laïc comme instituteur dévoué, puis directeur en 1917 enfin Maire de sa commune jusqu'à sa mort en 1963. Tout le monde connaît l'EHPAD "Théophile Bretonnière" dans le Bourg, récemment rénové et agrandi, mais aucune rue ne porte son nom et son portrait a été décroché par la dernière municipalité.
Celui qui sillonnait à bicyclette, la plus vaste commune du département de la divatte des bords de Loire à Embreil et jusqu'aux confins du Loroux vers le plan d'eau du Chêne qu'il initia et pour lequel il milita contre une ZAC industrielle ou commerciale...
Combien de concellois furent formés par cet homme craint et admiré , combien de musiciens débutèrent dans l'Harmonie municipale, combien de jeunes pompiers débutèrent à son époque ?
J'ai bien connu celui que j'appelais "Monsieur le Maire" qui habitait Boulevard de Trittau à côté de la Boucherie Vezin , et lorsque la nouvelle Mairie a dégagé son parking, on a découvert la façade sud de sa maison.
C’est le 12 mars 1880 que naît Théophile Marie Joseph BRETONNIERE dans la commune de Vallet de François Théophile Bretonnière cantonnier né en 1849 et de dame Modeste Clavier née en 1843
Après des études primaires à Vallet, puis à l’école primaire supérieure , il est nommé instituteur à St Julien de Concelles où son futur beau frère Théophile HOURDEL est Directeur.Il restera Instituteur de 1900 à 1917 puis deviendra à son tour Directeur d’Ecole de 1917 à 1937. Il épouse le 15 avril 1906 Jeanne Marie HOURDEL née à Guenrouët le 22 mai 1880.(2) Le couple donnera naissance en 1907 à Yvonne Jeanne Marie Antoinette Bretonnière. Le couple s’installe dans le bourg de St Julien entre la maison Vezin et le cabinet dentaire (Actuel Bd.de Trittau) non loin de la Médiathèque actuelle.
Son frère Alphonse Bretonnière (1881-1954) également instituteur s'adonnait à la peinture et signait AB ses natures mortes ou son autoportrait ci-joint.
Théophile HOURDEL Directeur d’Ecole et Théophile Marie Joseph BRETONNIERE achètent en 1909, et conjointement à Georges Marie Guicheteau (1), une maison de maître ayant appartenu à Mme Veuve Trébuchet tante de Victor HUGO le Domaine de « la Crétinière » sur la même commune pour la somme de 8000 francs.
En 1923, M.Théophile HOURDEL âgé de 60 ans prend sa retraite à ND de Grâce en Guenrouët et c’est Théophile BRETONNIERE qui devient Directeur de l’Ecole Primaire de Saint Julien de Concelles jusqu’en 1963 à sa mort pendant 40 années .
De 1925 jusqu’à la Libération de 1945 la propriété sera louée pendant 25 années à Ernest HABILLON, Commandant de Hussards , Lieutenant d’Infanterie adjoint au 286è Régiment "Berry au Bac ".
De 1935 à 1975, « la Crétinière » sera le siège de l’Association JJ Rousseau dirigée par Maxime NEMO.et fera l’objet d’une longue interview dans Presse Océan en 1972 par Claude Sérillon.
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« Pendant 20 ans , M. Théophile Bretonnière devenu Maire de St Julien en 1944 (à la suite de M. Léon Binet 1903-1944) se dévoue sans compter pour ses concitoyens. Instituteur puis Directeur de son école, il a préféré pour mieux remplir sa tâche, rester au milieu des siens, refusant délibérément toute proposition d’avancement faites en sa faveur. L’école publique de St Julien compte parmi les meilleures écoles rurales du département. Excellent professeur , il a voulu parfaire les connaissances de ses anciens élèves en créant des cours post-scolaires, plus spécialement orientés sur les problèmes agricoles.
M. Bretonnière n’a pas voulu simplement limiter ses activités à sa mission pédagogique et a tenu à réserver tous ses instants de loisir aux différentes sociétés de secours mutuel de St Julien. Lorsque la guerre arrive, il se dépense nuit et jour pour apporter aux réfugiés et aux victimes des bombardements de Nantes un réconfort moral et matériel. Pendant ces deux années d’épreuves, la population de St Julien se resserre autour de lui. Aussi à la libération, s’est-il vu à l’unanimité, confier la Mairie. Bien qu’âgé de 65 ans il n’a pas reculé devant ces lourdes responsabilités et depuis 12 ans il gère , avec sa haute conscience du bien public, les intérêts de sa commune et, tout en respectant le budget communal , il a su apporter les améliorations indispensables et installer un hospice de vieillards dont la gestion est, à juste titre, citée en exemple. »
Parmi ses titres qu’il ne mettait jamais en avant au quotidien, il convient de signaler qu’il exerça les fonctions de Ministère Public à la Justice de Paix du canton du Loroux Bottereau, Chevallier des Palmes Académiques , Président d’honneur de la Caisse Chirurgicale et Président de la Société Musicale qu’il dirigeait avec un dévouement inlassable dont certains se souviennent encore aujourd’hui.
Le préfet de Loire Atlantique appuie le 26 mars 1957 d’un avis très favorable la proposition de nomination dans l’ordre de la Légion d’Honneur de M. BRETONNIERE, Maire de St Julien de Concelles, car cette haute distinction viendra récompenser les mérites d’un homme dont toute la vie n’a eu d’autre but que de mieux servir l’intérêt général. Le 1er Juillet 1957, le Ministre de l’Intérieur P.TROUILLE . signe l’admission de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur. Matricule 05670CV57
Parmi ses nombreuses activités, il rédigea un mémoire d’horticulture resté inédit à ce jour, sur les activités agricoles du « Domaine des Planches » dont il détailla chaque spécimen et scruta l’organisation la plus infime donnant là un instantané de la production locale à la demande de la Chambre d’Agriculture de Loire Inférieure.
Ses décisions les plus remarquables à la tête de la Mairie furent sans doute la création de l’Hospice de St Julien dont l’EPAHD actuel porte encore son nom et la décision de privilégier un espace de loisirs autour d’un « plan d’eau du Chêne » plutôt que des zones industrielles J’ai pu longuement recueillir le témoignage de son adjoint et ami M. Lefeuvre. Il ya quelques années avant sa disparition et nous avons échangé sur des photographies de la période 1950 à 1960..
Monsieur et madame Bretonnière ont été enterrés au Cimetière de Saint Julien après un hommage vibrant de toute la commune en présence de hautes personnalités locales .comme en atteste la Presse de l’époque.
Certains se souviendront des tournées de Monsieur le maire qui n’hésitait pas à enfourcher sa bicyclette d’Embreil à la Chebuette, par tous les temps et à toute heure pour se rendre au chevet d’un administré ou pour encourager un viticulteur, car le maréchage n’avait pas encore envahi et métamorphosé le paysage.
Peu de temps lui restait donc pour son activité favorite : l’entretien de son jardin à « la Crétinière » et le greffage de ses arbres fruitiers.
. (1) Georges Marie GUICHETEAU Juge honoraire au Tribunal de Brest et domicilié à Nantes 33, Bd Delorme il était le fils aîné de Georges François GUICHETEAU Percepteur des Contributions directes qui était décédé le 7 aout 1900 à « la Crétinière » à l’âge de 81 ans.
Le 4 Aout 1869, Georges François GUICHETEAU s’était porté acquéreur de « la Crétnière » par acte notarié succédant ainsi à Marie Joséphine BOURET Veuve de Joseph Marie TREBUCHET oncle de Victor Hugo et frère de Sophie TREBUCHET.
(2) En 1906, au mariage de Théophile Bretonnière sont témoins Alphonse BRETONNIERE né en 1881 à VALLET, âgé de 25 ans instituteur demeurant à PONT ROUSSEAU( commune de Nantes ) frère de l’époux. Henri Alfred HENAUDEAU âgé de 25 ans,né à la Chapelle Basse Mer le 13 novembre 1880, instituteur demeurant au bourg de St Julien, ami de l’époux et Joséphine PETARD âgée de 28 ans, amie de l’épouse.
.J'ai entrepris de retracer à partir de ses archives personnelles, la vie de cet homme admirable qui a laissé un souvenir auprès de ses administrés , élèves ou musiciens de l'Harmonie municipale.
Patrick CHEVREL
DISCOURS PRONONCE le 21 aout 1963 devant la tombe de Monsieur Bretonnière
Mesdames ,Messieurs,
Dans ce cimetière où si souvent s’est élevé la voix de Monsieur Bretonnière pour saluer la mémoire des morts au champ d’honneur, nous voici rassemblés, une dernière fois autour de lui.
Il me semble encore l’entendre, après l’appel des noms de la funèbre liste , s’écrier : « Morts pour la France » et tirer magistralement la leçon de leur sacrifice.
Aussi, comment ne pas faire un rapprochement non pas entre deux genres de morts très différentes certes, mais entre deux formes aussi totales de dévouement au bien public, d’abnégation et de don de soi.
Car Monsieur Bretonnière a donné sa vie, sans en soustraire un instant pour le repos ni pour la distraction, au service de notre petit pays de Saint Julien de Concelles.
Et cet effort sans défaillance de 65 années, il l’a soutenu de son propre aveu, jusqu’à l’extrême limite de ses forces.
Nous avons encore devant les yeux l’image de cet homme de 83 ans , torturé par le mal, usé par le surmenage et les soucis, épuisé par la maladie, qui ne tenait debout que par un miracle de volonté mais s’astreignait encore, non seulement à remplir tous les devoirs de ses multiples charges, mais aussi aux tâches secondaires les plus modestes.
Comme les glorieux morts dont il aimait tant exalter le sacrifice, Monsieur Bretonnière est mort lui aussi sur la brèche.
Il faisait autrefois chanter à ses élèves :
Et si certain jour il le faut,
Sachons mourir sans une plainte.
Cet enseignement, comme toutes les pensées élevées qu’il a, tant de fois développées ici même, il ne s’est pas contenté de l’exprimer en paroles, il a voulu le prêcher par l’exemple : il a vécu son idéal jusqu’à la mort.
Ce n’est pas à moi de retracer sa carrière. J’ai voulu simplement parler de l’homme, extrêmement sensible , sous des dehors assez froids , qui a mis sa grande intelligence et son extraordinaire puissance de travail au service de tous pendant toute sa vie.
Il était ici le conseiller social, juridique, fiscal, technique ou, plus simplement le confident et le conseiller à qui nous avons tous, une fois ou l’autre, eu recours.
A une époque où l’on ne se rue vers le mieux-être, son mépris de l’argent, des distractions, du luxe et même du simple confort faisait de lui, sous certains rapports, un homme d’un autre temps.
Cher Monsieur le Maire,
Ces campagnes, dont vous connaissiez les moindres recoins et tous les habitants, que vous tant contribué à élever matériellement et surtout intellectuellement, ce bourg que vous aimiez tant, que vous souhaitiez embellir encore, étaient en fête et l’annonce de votre mort les a jetés dans la consternation et le deuil mais vous continuerez de vivre dans la mémoire et dans le cœur des Concellois.
Votre passage parmi nous nous a marqués définitivement.
Vos collaborateurs continueront votre œuvre .Ils savent que la succession d’un homme de votre valeur mettra leur infériorité en évidence mais ils espèrent que la cohésion de l’ensemble suppléera à l’insuffisance de chacun.
Quel que soit le nom de votre successeur c’est le Conseil Municipal tout entier qui travaillera à la tâche que vous avez, si longtemps assumé seul.
Bien que désemparés par votre disparition, vos collaborateurs s’efforceront de réaliser vos projets, ils suivront votre exemple en travaillant au bien de tous, ils conserveront et ressèmeront, si possible , l’unité et la bonne entente qui vous étaient si chères.
Madame, Mademoiselle,
Votre abnégation et votre dévouement ont permis à Monsieur Bretonnière de se consacrer entièrement au service de la Commune.
Soyez assurées de la reconnaissance de tous .
Votre douleur est immense et nous comprenons que rien ne peut l’atténuer.
Entouré de son Conseil, M.Bretonnière , Maire de Saint Julien de Concelles a été fait chevalier de la Légion d’honneur par son ami, M. Mahot, conseiller général. ( Ouest France 10 Novembre 1957 )
L’extrême modestie de M. Théophile Bretonnière , Maire de St Julien de Concelles, a été mise dimanche 10 novembre à bien rude épreuve. Il lui a fallu en effet « subir » (ce fut à peu près son mot) une distinction dont il devait attribuer les mérites à l’ensemble de son Conseil : la croix de Chevalier de la Légion d’honneur décernée au titre de la fonction publique qui – chacun se plait à le reconnaître – vient récompenser toute une vie de dévouement entièrement consacrée au bien commun : tant comme instituteur de 1898 à 1936 que comme premier magistrat de la commune depuis 1945 et par surcroît pendant les dures années de la guerre. M.Bretonnière a toujours donné le meilleur de lui-même avec un esprit de droiture, un souci de justice et d’équité, une ardeur au travail auxquelles il fallait rendre hommage. Et cet hommage a été rendu en des termes d’ailleurs amicaux et non moins excellents, par M. Etienne Mahot, Conseiller général et maire de la Chapelle Heulin, grand ami du décoré, qui s’était fait une joie de venir épingler sur sa poitrine les insignes de l’ordre auquel il appartient.
Pas de grand cérémonial mais une réunion toute simple, comme l’avait exigé le récipiendaire, mais pour une fois, les épouses des élus municipaux étaient aux côtés de leurs maris dans la salle des délibérations.
D’autre part, on notait seulement la présence de M. le sénateur Aguesse et de M.Douineau , conseiller général. M.le député Raingeard s’était excusé.
S’adressant d’abord aux dames, M.Bretonnière qui était entouré de Mme et Mlle Bretonnière , de ses adjoints MM Cornet et Vivant leur déclara : « Vous assistez aujourd’hui au triomphe de vos maris et à ma confusion personnelle. Ils ont regardé mes vagues mérites à la loupe alors que je n’ai fait que mon devoir. »
« Comme Maire ma tâche est largement facilitée par la sagesse de mes administrés, et c’est ce que le ministre a voulu sûrement récompenser ». Puis il se plut à dresser le bilan des réalisations communales lesquelles insista-t-il sont l’œuvre du conseil tout entier qui travaille dans une parfaite cohésion. « De tout cœur conclut-il je vous exprime ma plus vive amitié et ma profonde reconnaissance, et j’adresse un salut affectueux à tous nos concitoyens ».
Et tandis que Mme et Mlle Bretonnière recevaient de magnifiques bouquets d’œillets, M. le Maire se voyait offrir par ses collègues du Conseil municipal un superbe cadeau qui le toucha profondément. : « l’Histoire des Civilisations » en 7 volumes.
Que Monsieur Bretonnière veuille accepter également l’expression de nos très sincères félicitations.